L'affaire BNP Paribas devient politique, en tout cas en France. François Hollande a écrit à Barack Obama pour l'alerter sur le "caractère disproportionné des sanctions envisagées" contre la banque hexagonale, dans une lettre envoyée le 7 avril. "Ils se sont ensuite parlé au téléphone à ce sujet", a précisé l'Elysée mercredi. Les deux présidents dîneront même ensemble jeudi soir dans un restaurant parisien. Et "je ne sais pas si lui veut en parler mais moi, je lui en parlerai", a déjà fait savoir à la presse François Hollande, en marge d'un déplacement à Varsovie.
L'affaire BNP. Le groupe bancaire français est accusé d'avoir réalisé des opérations avec des pays sous embargo américain, comme le Soudan et l'Iran. Pour l'heure, l'enquête est loin d'être terminée et rien n'est encore décidé. Mais selon la presse américaine, BNP pourrait se voir infliger une pénalité supérieure à 10 milliards de dollars (7,34 milliards d'euros), ainsi qu'une suspension temporaire de ses activités aux Etats-Unis, ce qui l'empêcherait de traiter toutes transactions en dollars. Une sanction qui fragiliserait grandement la banque au logo vert et blanc. Et qui ouvrirait la voie à de probables poursuites contre d'autres banques européennes.
Hollande n'est pas seul. En réaction, de nombreux politiques français étaient déjà montés au créneau, avant François Hollande. "Si les autorités américaines ne traitaient pas BNP Paribas de manière équitable, la France réagirait fermement", prévenait mardi soir Michel Sapin, le ministre des Finances, dans une interview aux Echos. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, parle même d'un "grave problème".
Et du côté de l'opposition aussi, la pression montre. "C'est une agression contre la France et contre l'Europe", a lancé l'ancien ministre UMP Xavier Bertrand, mercredi sur Europe1. "Il est du devoir du gouvernement de défendre les intérêts de millions de déposants français", a également renchéri le Front national dans un communiqué.
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CEUX QUI GÈRENT LE DOSSIER
Le DoJ, acteur principal. De l'autre côté de l'Atlantique, les hommes politiques se montrent plutôt avares en communication sur le sujet. Et pour cause : ils n'ont pas pour habitude de se mêler à ce genre de dossiers. Depuis le début de l'affaire, c'est plutôt le Département de la Justice (DoJ), sorte de parquet suprême, qui est à l'œuvre. S'il est hiérarchiquement sous l'autorité de l'administration Obama, celle-ci l'influence rarement. "La contre-attaque de la France reflète un fossé culturel avec les États-Unis, où l'intervention politique dans l'application de la loi est généralement tabou", écrit ainsi le New York Times.
"L’administration n'intervient jamais dans l'action des procureurs, ce serait extrêmement mal vu. D'autant que Cyrus Roberts Vance, le procureur général de New York, le prendrait extrêmement mal. C'est lui qui était en charge de l'affaire DSK. Et il considère cette affaire comme un terrible échec", décrypte pour Europe1.fr Nicole Bacharan, politologue spécialiste des États-Unis.
Quels sont les pouvoirs du DoJ ? "Quand une société est prise dans le filet du ministère de la Justice américain, trois scénarios sont possibles", détaillait Le Monde lundi. Et de poursuivre : "soit un arrangement est trouvé (entre le DoJ et la BNP), avec amende négociée sans plaider coupable, soit une transaction est conclue, avec plaider coupable donc plus lourde de conséquences, soit aucun accord n'est possible et un procès a lieu".
La "terreur de Wall Street". Une autre autorité administrative a son mot à dire dans le dossier : le Department of Financial Services de New York, dirigé par le tonitruant Benjamin Lawsky, alias "terreur de Wall Street", selon le journal Les Echos. Outre son pouvoir d'enquête, le Department of Financial Services de New York peut décider de suspendre les activités d'une banque à Wall Street.
CE QUE LA FRANCE PEUT ATTENDRE D'EUX
Les armes dont dispose la France. De l'administration Obama, la France espère qu'elle s'implique davantage dans le dossier. Et qu'elle fasse pression sur les autorités judiciaires. François Hollande pourra par exemple menacer de faire capoter les négociations sur l'accord de commerce transatlantique, si Barack Obama refuse d'intervenir. Pour convaincre les autorités judiciaires d'opter pour une amende "light", la France agite par ailleurs le spectre d'une mise en péril du système bancaire européen.
Le New York Times affirme même que les autorités françaises avaient déjà engagé un véritable bras de fer avec la justice américaine. Christian Noyer, le patron de la Banque de France, et Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire générale de l'ACPR, l'autorité de régulation des banques françaises, auraient même déjà rencontré toutes les autorités concernées pour leur faire entendre raison.
Le hic : "le public réclame du sang". Mais pas sûr que les autorités américaines acceptent d'aider une banque accusée d'avoir violé la loi fédérale, surtout à l'approche des "midterm", les élections législatives américaines de mi-mandat. "Les autorités judiciaires ne semblent pas céder aux avances de la France", assure le New York Times. "Notre responsabilité est d'attaquer en justice quand il y a des preuves d'infractions répréhensibles par la loi", explique également un porte-parole du Département de la justice (DoJ), interrogé sur le dossier.
BNP risque de payer son manque de coopération dans le dossier, selon différentes sources judiciaires citées par l'AFP. Et surtout, elle négocie au moment où la pression publique et politique est montée d'un cran sur le Département de la Justice (DoJ) et son ministre, Eric Holder. Le prédécesseur d'Eric Holder a en effet dû quitter ses fonctions en mars 2013, sans avoir pu épingler un seul grand nom de Wall Street responsable de la crise des Subprimes. "Le public réclame du sang", commente ainsi Gregori Volokhine, gérant de fortune chez Meeschaert Financial Services. Holder "veut marquer le coup", ajoute Derek Knerr, ex-procureur fédéral cité par l'AFP.
Et le "Saint-Just de Wall Street" est là. Quant aux Department of Financial Services de New York, dirigé par la "terreur" Benjamin Lawsky, il a déjà fait savoir qu'il espérait obtenir le départ d'une douzaine de cadres de BNP. Et il n'est pas réputé pour laisser traîner les procédures. "Sa méthode : il met la pression sur les autres régulateurs et les met en concurrence via des déclarations publiques, les poussant ainsi à aller plus loin qu'ils ne le souhaiteraient", disaient de lui Les Echos le 19 mai.
Pour l'heure, il se contente de mettre la BNP sous surveillance : il a placé une caméra dans les locaux New-Yorkais de la banque. Mais lui non plus ne semble pas avoir le profil pour se laisser attendrir par l'Elysée. "Il sent que pour l'opinion, les régulateurs n'ont pas fait payer les véritables responsables de la crise financière. Lui se voit comme le Saint-Just de Wall Street", le décrit Les Echos.
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