Antibiotiques : pourquoi les vétérinaires enragent

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DÉCRYPTAGE - Ils ont manifesté pour la première fois mercredi contre une réforme déjà adoucie. Mais d’où vient leur colère ?

L’INFO. C’est la première fois qu’ils se mettent en grève et montent à Paris. Plusieurs milliers de vétérinaires, plus de 7.000 selon les organisateurs, ont manifesté mercredi dans le quartier de Montparnasse. A une semaine de son examen en Conseil des ministres, ils entendaient dénoncer un projet de loi censé réformer leur métier. Pourquoi une profession d’ordinaire si calme a-t-elle décidé de hausser le ton ? Décryptage d’un bras de fer d’autant plus trouble que le gouvernement a déjà fait machine arrière.

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Cette réforme que le gouvernement prépare.  La "loi d'avenir de l'agriculture" se fixe notamment pour objectif de réduire l’usage d’antibiotiques pour les animaux. Comme chez l’humain, son recours excessif renforce la résistance des bactéries, ce qui entraine un usage encore plus important de médicaments et entraine une fuite en avant. Or, une partie de ces animaux se retrouve dans nos assiettes.

Pour réduire la consommation d’antibiotiques, la loi s’attaque donc à une spécificité des vétérinaires : à la différence d’un médecin généraliste, le vétérinaire est à la fois prescripteur et distributeur de médicaments. En clair, il peut vendre à ses clients les produits qu’il prescrit. D’où des soupçons de conflit d’intérêts : cette double casquette n’incite pas à réduire la consommation d’antibiotiques et rapporte gros aux vétérinaires. La loi prévoyait donc de réserver aux pharmacies la vente des antibiotiques, accessibles uniquement sur ordonnance des vétérinaires. Mais ces derniers jugent que les pharmaciens ne sont pas assez formés pour une telle mission.

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Une réforme déjà adoucie. La future loi devait donc mettre fin à cette double casquette mais, face aux contestations, les ministres de l’Agriculture et de la Santé ont annoncé lundi le retrait de cette disposition. "La mesure sur le découplage initialement envisagée sera utilement remplacée par plusieurs dispositions qui seront introduites" dans le projet de loi, a annoncé le gouvernement, citant "l'inscription dans la loi d'un objectif chiffré de réduction de la consommation d'antibiotiques critiques". Malgré ce recul et la création d’un groupe le travail à partir du 18 novembre, la manifestation a été maintenue.

>> Pourquoi donc les vétérinaires manifestent-ils alors ? Europe1.fr a posé la question à Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL), qui représente environ 40% des cabinets libéraux.

Car il est trop tard. La première raison tient d’abord "au calendrier". La mesure a été retirée lundi et il était trop tard pour renoncer à manifester", prévient-il.

Pour éviter une mauvaise surprise. Si le gouvernement a reculé, rien n’empêche les députés et sénateurs de modifier ensuite le projet de loi. "Dans une phase parlementaire, tout est possible. On va être extrêmement vigilant, cela représente un enjeu de survie", justifie Pierre Buisson.

Pour médiatiser leur situation. "Manifester, c’est très inhabituel pour nous qui avons l’habitude de la concertation", reconnait-il. Les vétérinaires ont bien tenté de faire connaitre leur combat et se sont rendu compte qu’ils étaient inaudibles. "Il est nécessaire que notre profession devienne visible", a justifié Pierre Buisson, "nous sommes connus des propriétaires mais les Français ignorent toutes nos missions de service public", notamment la veille sanitaire.

Car c’est aussi et surtout une question d’argent. Si les vétérinaires ont maintenu leur mouvement, c’est aussi pour montrer leur détermination à ne pas perdre un business juteux. "Si les vétérinaires perdent la vente de médicaments, vous perdez un vétérinaire sur deux. Déjà qu’un vétérinaire gagne moins qu’un médecin", s’insurge Pierre Buisson. Selon l’enquête 2009 de l’Union Nationale des Associations Agréées, un vétérinaire gagne après deux d’activité en moyenne plus de 5.400 euros nets par mois. Et ce dernier d’estimer que la vente de médicaments représente près de la moitié de l’activité : "40% des revenus d’un vétérinaire de ville et 60% des revenus en zone rurale".