L'INFO. "Je ne vais pas vous laisser vendre l'une des meilleures startups françaises. Vous ne savez pas ce que vous faites." À en croire ces propos rapportés mercredi par le Wall Street Journal, Arnaud Montebourg n'avait pas la moindre petite envie de laisser Yahoo! acquérir Dailymotion. Et le ministre du Redressement productif vient d'obtenir gain de cause. Le géant américain d'internet vient en effet d'annoncer qu'il renonçait à entrer dans le capital du site français de partage de vidéos. L'accord du gouvernement semble ainsi nécessaire pour obtenir la main de Dailymotion. Mais pourquoi Bercy le cajole-t-il autant ? Éléments de réponse.
>> À écouter aussi, l'interview d'Arnaud Montebourg sur Europe1 :
Pourquoi ce renoncement ? Yahoo! négociait depuis plusieurs mois une entrée à 75% dans le capital de Dailymotion, possédé à 100% par Orange, dont l'Etat est actionnaire à 27%. Mais le gouvernement, notamment par la voix d'Arnaud Montebourg, soutenu par Pierre Moscovici, a fait savoir qu'il refusait catégoriquement une entrée à plus de 50% dans le capital du site français. Et Stéphane Richard, le PDG d'Orange, qui brigue un second mandat à la tête de l'opérateur, "n'aurait pas voulu se brouiller avec l'Etat", explique le journal Le Monde.
Pourquoi l’État était-il si exigeant ? "Dailymotion est l'une des rares sociétés de contenus que la France ait réussi à faire émerger sur le Web ces dernières années, c'est une vraie perle, et qui en plus ne perd pas d'argent. Ce serait quand même dommage de la laisser filer", détaillait au Monde, mardi 23 avril, une "figure de l'Internet français" proche de Bercy. Deux éléments majeurs expliquent la détermination du gouvernement à garder la "perle" sous les couleurs tricolores. Le premier : l'emploi. "Nous ne sommes pas dogmatiques mais cette option d’une entrée de Yahoo! n’a de sens que si le portail américain prend des engagements très forts sur le maintien de l’activité et du siège en France", explique un haut fonctionnaire de Bercy, cité par la Tribune. Le site de partage de vidéos emploie 180 personnes, dont 120 à Paris.
Bientôt un "pôle numérique français"? Et comme l'explique une source proche de Bercy citée par la Tribune, le gouvernement réfléchit également à la création d'un "pôle numérique français" autour de Dailymotion avec "des activités connexes" à celle du partage de vidéo. Via le Fonds stratégies d'investissement (FSI), l'Etat pourrait même reprendre des participations dans Dailymotion pour l'aider à son développement (le chiffre d'un investissement à hauteur de 50 millions d'euros est avancé par certaines sources).
Orange aurait-il mieux fait de signer avec Yahoo!? Le hic, c'est qu'il existe peu d'acteurs franco-français du numérique susceptibles de s'associer avec Dailymotion pour l'aider à se développer efficacement. "C’est déjà trop tard pour Deezer, qui a levé 100 millions d’euros à l’automne auprès d’Access Industries. Le réseau social pour professionnel Viadeo semble, lui, assez éloigné de cet univers des contenus. La pépite Criteo, spécialiste du ciblage publicitaire, aussi, et elle serait de surcroît dans les starting-blocks pour une introduction en Bourse à New York", développe ainsi la Tribune. Et l'Etat n'a pas les caisses suffisamment remplies pour créer à lui seul ce "pôle numérique français".
D'autant que si Dailymotion est à l'équilibre et peut s'enorgueillir d'une croissance de +55% en 2012, il reste très loin d'être aussi puissant que son rival américain Youtube. En octobre 2012, Dailymotion pointait en effet au 31e rang mondial en termes d'audience, avec un peu plus de 115 millions de visiteurs uniques mensuels, alors que YouTube vient de passer la barre du milliard. Ce qui fait dire, y compris chez Orange, que le rejet de Yahoo!, qui aurait pu lui ouvrir les portes du marché américain, n'était pas forcément une si bonne idée que ça…
Bercy y croit. Le gouvernement reste toutefois convaincu de pouvoir trouver des partenaires pour ses projets. Certains noms circulent déjà, à l'instar de ceux de Vivendi et Lagardère (propriétaire d'Europe1), qui ont une bonne connaissance du marché américain, ou de TF1, qui avait déjà envisagé de racheter Dailymotion en 2007.