Le "pacte de compétitivité" divise la majorité en s'éloignant des idées traditionnelles de gauche.
"La tournure et le virage, quelque part sinon idéologique, du moins d'une politique économique, fait depuis trois jours, nous laissent très perplexes." Jean-Vincent Placé a mené vendredi une charge en règle contre le "pacte compétitivité", dévoilé mardi par le gouvernement sur les bases du rapport Gallois. Le sénateur écologiste va même jusqu'à s'interroger sur la légitimité de la présence d'écologistes au gouvernement "depuis ce virage post-rapport Gallois".
>> LIRE AUSSI : le rapport Gallois point par point et compétitivité, les mesures retenues
Écologistes, communistes, et même radicaux de gauche, ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer ce "pacte compétitivité". Les associations altermondialistes Copernic et Attaque ont même publié un "anti-rapport Gallois", intitulé "en finir avec la compétitivité". Elles ne dénoncent rien de moins qu'un "pacte faustien, par lequel la gauche vend sa raison d'être" aux "dogmes libéraux". Le 24 novembre, lors d'un rassemblement à Lille, le PCF a lui aussi décidé de publier son "contre-rapport", comme le révèle Libération.
>>> Ce clivage est-il profond? En quoi ces mesures, proposées par un gouvernement de gauche sur proposition d'un industriel de gauche, seraient-elles de droite? Revue d'arguments.
"On se débarrasse de Sarkozy mais on a garde la politique"
• Des mesures pas assez égalitaires. Le pacte prévoit un crédit d'impôts de 20 milliards d'euros pour les entreprises. La mesure sera financée, pour un tiers, par une hausse de la TVA. Or, cela va toucher tous les types de revenus, contrairement à d'autres impôts qui évoluent progressivement.
>> LIRE AUSSI : Hausse de TVA, ça change quoi?
"La TVA est une mesure de droite. Elle porte sur la consommation et nous ne sommes pas tous égaux devant la consommation", dénonce ainsi Europe-écologie les verts sur son site internet. Même son de cloche chez les radicaux de gauche, pourtant estampillés à la droite de la gauche, pour qui cette hausse est "insolite" et "renie les promesses de la campagne".
"On ne voulait pas que la TVA revienne au niveau auquel l'avait installée M. Sarkozy et qu'on venait d'abroger cet été. Imaginez la tête qu'on fait maintenant quand on découvre qu'on s'est débarrassé de l'homme mais qu'on a gardé la politique", a également raillé lundi le coprésident du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon. La gauche, à l'instar d'EELV, prône davantage une hausse de la CSG, impôt progressif et qui touche une partie des revenus du capital.
>> LIRE AUSSI : la "TVA Hollande" est-elle la même que la "TVA Sarkozy"?
• Trop de réduction de dépenses. Selon le rapport Attac/Copernic, la "nécessité de réduction des dépenses publiques" fait partie des "dogmes libéraux". Or le pacte compétitivité prévoit 10 milliards de réduction. Baisse des salaires de fonctionnaires, des dotations aux hôpitaux, des fonds à la culture, aux aides sociales, aux associations, aux travaux publics etc. En quoi cela va-t-il se traduire? La gauche attend des précisions que l'exécutif se garde pour l'instant de donner.
"Le travailleur, ce pelé, ce galeux doit payer"
• Pas assez offensives contre la finance. Outre le crédit d'impôt, le pacte prévoit la nomination des représentants des salariés au sein des conseils de grandes entreprises ainsi que des contreparties en termes d'embauche. Insuffisant, selon la gauche de la gauche, pour qui le gouvernement laisse tomber les salariés et épargne le capital. En effet, le pacte ne prévoit aucune baisse de cotisations salariales, qui aurait permis une hausse de salaires. Ni aucune participation des actionnaires.
"Pourquoi parle-t-on toujours du prix du travail et jamais du prix du capital ?", pointe ainsi Jean-Luc Mélenchon. "Comment se fait-il que dans notre pays on paye deux fois plus d'argent aux actionnaires qu'on en donne en cotisations sociales aux travailleurs, a-t-il insisté. On fait comme si le capital n'y était pour rien, c'est seulement le travailleur, ce pelé, ce galeux qui doit payer davantage et être payé moins lui-même."
"En l'espace de douze ans, la part des revenus distribués au capital par les sociétés non financières a pratiquement doublé par rapport à leur excédent brut d'exploitation", renchérit le rapport Attac/Copernic, selon qui cet argent aurait pu servir à développer la recherche et l'investissement. "Crise ou pas crise, la part de plus en plus lourde que les entreprises choisissent de distribuer aux propriétaires du capital affaiblit leur capacité à faire face à tous les aspects de la compétitivité", souligne le rapport.
"Promouvoir un autre modèle de développement"
• Trop mondialistes. Les faiblesses industrielles françaises auraient-elles d'autres causes que celles que pointent Louis Gallois et le gouvernement, qui reprennent une bonne partie des arguments du Medef? Le rapport Attac/Copernic apporte un éclairage différent du leur. Selon ses auteurs, contrairement à l'Allemagne ou l'Italie, les PME françaises sont beaucoup trop liées financièrement aux grands groupes, qui réalisent une partie "croissante" de leur chiffre d'affaires à l'étranger.
"Il est urgent de sortir de cette logique qui créé les conditions d’une concurrence de tous contre tous, d’un état de guerre économique permanent qui appauvrit les populations et détruit les équilibres écologiques", résume la fondation Attac sur son site.
• Pas assez écologistes. Le gouvernement prévoit, en sus de la hausse de TVA et des réductions de dépenses, de mettre en place dès 2016 une "fiscalité écologiste". Mais le manque de précision et la date tardive de la mise en application font tiquer. D'autant que, outre cette taxe, l'écologie n'est en rien associée à la compétitivité.
Jean-Vincent Placé n'y trouve que "des annonces très en faveur des entreprises sans contreparties et sans conversion écologique". "Voir un monsieur aussi brillant que M. Gallois arriver à une si pauvre trouvaille que la sempiternelle réduction du coût du travail sans dire un mot des gisements que la France pourrait exploiter, qui ferait sa grandeur, par exemple la transition écologique !", tacle aussi Jean-Luc Mélenchon. Et Attac d'enfoncer le clou : "c’est un autre modèle de développement qu’il faut aujourd’hui promouvoir, tant pour des raisons écologiques que pour des raisons sociales".