C'est un coup de tonnerre dans le cercle des grands crus bordelais. La maison Château Latour, un des cinq premiers grands crus classés 1855 du Médoc a décidé de quitter le système unique à Bordeaux de vente en primeur aux négociants. Désormais, la maison vendra à sa guise sa production.
Chacun a son intérêt
Ce système dit des "primeurs" est une règle de longue date à Bordeaux. Elle avait été instaurée pour aider les propriétés à vendre leur vin. Grâce à ce système, particuliers et négociants peuvent acheter aux propriétés leur vin près de deux ans avant sa mise sur le marché. Cela offre aux propriétés une visibilité commerciale instantanée après la récolte et leur apporte une garantie financière immédiate avec le paiement d'un produit non encore commercialisé.
De leur côté, les négociants qui achètent à tarif préférentiel effectuent ensuite de confortables marges en échange d'une promotion et d'une distribution pointue vers de nouveaux marchés. "A titre d'exemple, le millésime 2008 de Château Latour a été vendu en primeur aux alentours des 110, 120 euros. Il se négocie aujourd'hui sur le marché entre 400 et 600 euros. Il y a donc 400 euros de spéculation et de bénéfices qui ont été faits sur le dos du Château, qui veut aujourd'hui les récupérer", explique à Europe 1 Olivier Poels, de la Revue du vin de France.
"Nos vins sont bus trop vite"
Un courtier de la place de Bordeaux s'indigne de cette décision, bien qu'il ne soit pas surpris. "Depuis des années, Latour met peu de vin en vente lors des primeurs et attend qu'il soit bon à déguster avant de le proposer au négoce au prix du marché".
Un négociant bordelais estime qu'"ils ne veulent pas passer à côté des marges des distributeurs. Ils veulent valoriser leur stock, faire un produit très haut de gamme et être le plus cher des grands crus".
Le Château Latour vendu chez Christie's ?
Dans un courrier envoyé vendredi aux courtiers et négociants, le directeur de Château Latour avance un argument différent : "Répondre à la demande croissante des amateurs pour des vins prêts à boire après conservation optimale à la propriété car nos vins sont bus trop vite", y détaille Frédéric Engerer.
François Pinault, propriétaire de Château Latour, possède également la maison de vente aux enchères Christie's, par laquelle il pourrait y vendre son vin, considère un négociant. Un autre craint que " d'autres grands crus lui emboîtent le pas" mais, ajoute-t-il, "seuls ceux qui ont une notoriété suffisante pourraient se le permettre".
"Attendons de voir"
"C'est un effet d'annonce important, mais attendons de voir", avance, prudent, un autre courtier. "Ils disent qu'ils ne mettront le millésime 2012 sur le marché que lorsqu'il sera prêt à boire, mais encore faut-il qu'ils aient l'espace de stockage sécurisé suffisant pour attendre", estime-t-il.
Il rappelle que château d'Yquem, premier grand cru supérieur 1855 de Sauternes, avait à sa demande rejoint le système des primeurs en 2004 car malgré sa renommée internationale, il "perdait en visibilité".
En attendant, un autre grand cru de Bordeaux a dévoilé lundi le prix primeur de son millésime 2011. Le Château Lafite Rothschild 2011 se vendra entre 420 et 450 euros la bouteille, soit 50% de moins que le millésime 2010, jugé exceptionnel. Un grand cru qui appartient aussi à… François Pinault.