Confrontée à une crise économique sans précédent, placée sous la perfusion financière des pays du Golfe et des Etats-Unis, l’Egypte reste néanmoins ambitieuse : le gouvernement a annoncé vendredi son projet d’ériger une nouvelle capitale ex nihilo, qui serait située à mi-chemin entre Le Caire et Suez. Mais qu’est-ce qui peut bien pousser un pays à déménager sa capitale ?
"12 fois plus grand que Manhattan". En dévoilant son projet, l’Egypte a assuré vouloir y loger toutes les institutions officielles (Parlement, palais présidentiels, ministères), mais aussi les ambassades étrangères et au moins 5 millions d’habitants. "L'idée de construire une nouvelle ville vient du fait que nous sommes conscients que la population actuelle du Caire va doubler dans les quarante prochaines années", a justifié le ministre du Logement Moustafa Kamal Madbouli.
Pour absorber cet essor démographique, le pays compte mettre les moyens : le terrain constructible du projet est "12 fois plus grand que Manhattan, trois fois plus grand que Washington", a affirmé le ministre, assurant que cette nouvelle capitale serait dotée d'un aéroport international, d'un espace vert censé devenir le plus grand du monde et d'un parc d'attraction "quatre fois plus grand que celui de Disneyland en Californie". Avant d’en arriver là, le gouvernement estime que la première phrase du projet devrait prendre entre cinq et sept ans et coûtera 42,9 milliards d'euros.
Créer une capitale, pas une première. Si créer une capitale ex nihilo peut paraitre pharaonique, c’est pourtant une pratique courante dans l’histoire lorsqu’un nouveau régime veut asseoir son pouvoir et laisser son empreinte. Ironie de l’histoire, l’Egypte a elle-même vécu une telle aventure sous le règne d’Akhenaton et de Néfertiti, qui érigèrent la ville d’Amarna vers -1360. Une capitale qui ne fut occupée que pendant un quart de siècle, les successeurs d’Akhenaton ayant décidé de ne pas l’ignorer pour retourner à Thèbes : la ville, rapidement désertée par ses habitants, fut rasée.
D’autres pays ont également choisi cette option dans une historie plus récente. La plus connue est bien évidemment la capitale brésilienne Brasilia, fondée en 1960 en plein milieu de la forêt amazonienne. La Côte d’Ivoire fit le même choix en faisant d’une petite commune, Yamoussoukro, sa nouvelle capitale en 1983. Plus récemment encore, le Kazakhstan de Noursoultan Nazarbayev a fait de même en 1998 en transformant radicalement la ville d’Akmola en capitale ultra-moderne, rebaptisée pour l’occasion Astana (ci-dessous). Dernier exemple en date : Naypyidaw, nouvelle capitale de la Birmanie depuis 2005 au détriment de Rangoon.
Pourquoi bâtir ou transférer une capitale ? Si un tel choix a une portée très symbolique, il présente aussi d’autres avantages. Le premier d’entre eux est géographique : déplacer une capitale permet le plus souvent de la localiser au cœur du pays et donc de mieux contrôler son territoire, mais aussi de gérer l’équilibre entre différentes régions. C’est notamment ce qui a justifié la construction de Brasilia, l’ancienne capitale Rio de Janeiro étant au sud et donc jugée trop éloignée du reste du Brésil. Sans oublier que cette ville-nouvelle symbolisait aussi la conquête de la zone amazonienne, érigée alors en nouvelle frontière à conquérir.
La Birmanie a également justifié le déplacement de sa capitale vers l’intérieur du pays pour la rendre accessible à tous ses concitoyens, même si certains estiment que ce transfert a aussi permis au régime des généraux de mieux se protéger, la ville côtière de Rangoon était en effet jugée trop perméable en cas d’intervention militaire étrangère. Le Kazakhstan a, lui, choisi de changer de déménager sa capitale car la précédente était trop enclavée et ne pouvait plus se développer. Mais aussi et surtout car elle était localisée à l’extrême sud du pays, le long de la frontière avec la Chine : à l’inverse, la nouvelle capitale est au centre du pays et notamment là où vit la minorité russophone, régulièrement accusée de vouloir rallier Moscou. Le contrôle du territoire est donc un facteur clé pour de tels déménagements.
Mais l’organisation du territoire ou la sécurisation du pouvoir ne sont pas les seules explications : en Australie, Canberra n’est devenue la capitale du pays que pour mettre fin à la rivalité entre Sydney et Melbourne. Chaque ville revendiquant le statut de capitale, le gouvernement a décidé d’opter pour une solution originale, en choisissant Canberra, située à mi-chemin entre les deux principales villes du pays.
Quel bilan pour ces capitales nouvelles ? Eriger une nouvelle capitale a bien évidement un aspect économique, ce que ne cache pas l’Egypte : "l'idée est de créer une ville internationale (...) qui offrira une multitude d'opportunités économiques et une qualité de vie à part," promet le gouvernement. Mais le bilan est souvent contrasté : si construire une capitale à partir de rien favorise l’activité économique et le développement des infrastructures, cela coûte très, très cher à court terme. Ce qui est pour le moins embarrassant dans des Etats où le niveau de vie est faible.
Du côté démographique, les résultats sont aussi très variables : l’Egypte souhaite créer une nouvelle capitale pour délester la mégapole du Caire, totalement saturée. Mais cela ne se passe pas toujours comme prévu : les concepteurs de Brasilia n’ayant pas anticipé son futur développement, la ville est désormais victime de son succès et connait un accroissement chaotique. A l’inverse, les capitales de la Côte d’Ivoire et de la Birmanie ne sont pas implantées là où vit la population et se retrouvent donc à moitié vides. Avec ses routes à six voies, la ville de Naypyidaw (ci-dessous) parait bien surdimensionnée par rapport à sa population.