Tous les trois mois, ça recommence. Les prévisions de croissance du PIB de la France déboulent de partout avec des chiffres différents. Jeudi, la croissance française pour le troisième trimestre 2012 est tombée, l'Insee annonçant un léger rebond de 0,2%. Bien mieux que ce que la Banque de France et l'OCDE avaient prévu (-0,1%), et légèrement plus que la prévision initiale de l'Insee (+0,1%). Comment chacun a-t-il construit ses prévisions ? Qui croire ? Europe1.fr a mené sa petite enquête, en s'appuyant sur les chiffres de l'année 2011.
>>> L'INSEE, "LA PLUS COMPLETE"
Son mode de calcul : 40 personnes sont exclusivement dédiées à la conjoncture à l'Institut national de la statistique. Pour établir ses prévisions trimestrielles, l'Insee s'appuie sur ses propres enquêtes de conjoncture, réalisées aux quatre coins de la France... et dont beaucoup se servent pour établir leur note de conjoncture. "On est parmi les rares, je crois, à avoir une approche aussi complète", juge Cédric Audenis, responsable du département de la conjoncture, auprès d'Europe1.fr. "Tous les mois, on demande à un échantillon d'entreprises comment s'est portée leur santé économique dans un passé proche et comment ils sentent l'avenir proche. On utilise ensuite des méthodes statistiques pour extrapoler" ces résultats, poursuit-il. Ils seront 'moulinés' avec les chiffres mensuels provenant des douanes pour l'import-export, ceux sur l'emploi, sur la consommation des ménages, etc. Dernière phase : l'entrée en jeu des prévisionnistes pour réconcilier ces chiffres, activité loin d'être 'presse-bouton'", résume Cédric Audenis. L'Insee commence chaque nouvelle note de conjoncture par un paragraphe expliquant ses erreurs - ou réussites - sur la prévision précédente. "On est transparent jusqu'au bout", assure l'économiste en chef.
>>> LA BANQUE DE FRANCE EST BIEN INDEPENDANTE
Son mode de calcul : La Banque de France effectue des enquêtes de conjoncture mensuelles à partir des opinions de près de 6.000 chefs d'entreprises de toute la France récoltées "sur le terrain". Une vingtaine de personnes, ensuite, déchiffrent les données et construit "un indicateur de climat des affaires", précise à Europe1.fr Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France. "A partir de là, sont établies les prévisions de croissance du PIB pour le trimestre". Taxée d'accointance avec le pouvoir par certains concurrents interrogés par Europe1.fr, la Banque de France clame haut et fort son indépendance politique. "Nous ne redressons pas les chiffres issus de l'opinion des chefs d'entreprise. Nous ne nous estimons pas en mesure scientifiquement de les corriger. Ils sont plus ou moins optimistes sur l'activité de leur entreprise, mais l'aspect psychologique doit être pris en compte", assure-t-il. Il en tient pour preuve les prévisions 2011. "Quand on a sorti la prévision de +0,8% pour le premier trimestre, tout le monde nous a dit que ce n'était pas possible, avant de finalement nous suivre", confie Jacques Fournier. Considérée comme optimiste et, donc, favorable au gouvernement de l'époque, cette estimation s'est finalement révélée la plus proche de la réalité. "Je n'ai jamais eu la moindre intervention de la sphère gouvernementale dans nos prévisions", conclut-il.
>>> L'OCDE, LA MOINS "POLITIQUE"
Son mode de calcul : Une centaine d'économistes travaillent au Département Économique de l'Organisation de coopération et de développement économiques, "mais tous ne sont pas affectés aux prévisions de croissance", souligne à Europe1.fr Paul Van den Noord, l'un d'entre eux. Dans une année, les économistes de l'OCDE se penchent deux fois, "au printemps et à l'automne", sur les prévisions. "Entre ces deux périodes, une petite équipe effectue les mises à jour en fonction des nouvelles données", précise l'économiste. A l'OCDE, on "n'a pas l'habitude de prendre en compte les aspects trop politiques" pour bâtir les prévisions. L'organisation se fie plus volontiers aux politiques officielles annoncées par les banques centrales et les gouvernements. Après, les économistes maison mettent leur grain de sel. "Il y a bien sûr une part de jugement personnel. Ce n'est pas une histoire de confiance mais si on a un doute sur la capacité de réussite d'une mesure, on l'inclut dans notre scénario 'à risque'", ajoute Paul Van den Noord.
>>>UN METIER OU L'ERREUR EST FREQUENTE
Les différences de prévisions d'un organisme à un autre s'expliquent de plusieurs manières. "Chacun ne se base pas forcément sur la même période", analyse Paul Van den Noord, de l'OCDE. "Or le facteur temps est très important dans les prévisions". Ces dernières sont d'ailleurs révisées plusieurs fois pour coller à l'évolution économique. Les "petits choix" à faire dans chacun des domaines sont différents d'un organisme à un autre. Tous n'accorderont pas la même crédibilité, par exemple, aux annonces gouvernementales, de gauche comme de droite. Idem sur les chiffres du chômage, de la consommation des ménages, etc.
Ainsi, "on peut avoir trouvé le bon taux de croissance, mais si on a surévalué la reprise de la consommation, et sous-estimé la baisse du chômage pour y arriver, c'est qu'on s'est trompé", résume Cédric Audenis. "La prévision parfaite n'arrive qu'une seule fois dans une vie", sourit-il encore. L'économiste de l'Insee et son confrère de la Banque de France s'accordent sur un autre point : "prévisionniste est un métier de modestes, par définition".
Quant à la fiabilité des trois organismes présentés ci-dessus, "les erreurs font partie intégrante de notre métier", s'excuse Cédric Audenis, conforté par Jacques Fournier. 0,1% du PIB "correspond à deux milliards d'euros", une part infime du PIB de la France. Se tromper de cette marge pour un prévisionniste est donc fréquent, voire naturel. "Cela rentre dans l'intervalle de confiance statistique", conclut Jacques Fournier.
(*) La prévision retenue pour l'année 2011 est celle publiée à la fin de l'année 2010. Elle ne tient pas compte des révisions effectuées par chacun au cours de l'année 2011.
"Nous n'avons pas basculé du côté des pays périphériques", analyse Axel de Tarlé à propos du rebond de la croissance en France au 3e trimestre 2012 :