La BCE s'immisce avec fracas dans le débat sur la dette grecque. La Banque centrale européenne a annoncé mercredi soir qu'elle suspendait un régime de faveur accordé jusqu'ici aux banques grecques, qui leur permettait d'emprunter de l'argent auprès de la BCE à moindre coût.
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La raison ? Cette faveur était en effet accordée sous condition : qu’Athènes mette en place le programme d'aide européen, qui implique en contrepartie une réduction de la dette grecque et la poursuite de l'austérité. Or, le nouveau gouvernement d'Alexis Tsipras a entamé une séquence de discussions pour renégocier le montant de sa dette et les contreparties à l'aide européenne.
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En prenant une telle décision, la BCE a donc décidé d'anticiper l'issue des négociations. Selon la banque centrale, c'est en effet déjà une certitude : l'issue de ces négociations sera négative. "Il n'est pas possible à l'heure actuelle d'anticiper une issue positive", écrit clairement le communiqué des gouverneurs de l'établissement.
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Qu'est-ce que c'était que cette faveur exactement ? La BCE ne finance pas directement les Etats. En revanche, elle peut acheter des titres des banques qui, elles, prêtent aux Etats. Pour faire face à la crise de la dette grecque, en 2010, l'établissement bancaire européen avait donc décidé de racheter des titres de banques grecques, sans leur demander des taux de rémunérations mirobolants.
Selon son règlement, la BCE doit faire payer les banques à qui elles prêtent en fonction de leur stabilité. Or, les banques grecques, en 2010 comme aujourd'hui, ne sont pas stables. Pourtant, en 2010, la BCE a décidé de leur prêter avec le même taux que pour les établissements stables. Le but : éviter une faillite généralisée de toutes les banques du pays.
Pourquoi la BCE s'en mèle ? A première vue, on peut se demander pourquoi l'établissement bancaire se soucie des banques grecques. Ses missions et objectifs fondamentaux semblent loin de ces préoccupations : maintenir la stabilité des prix, conduire les opérations de change, promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement etc. Mais il incombe aussi à la BCE, c'est écrit dans ses statuts, "d'apporter son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union européenne" et de "contribuer à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne […] la stabilité du système financier". En clair, à partir du moment où cela ne déroge pas à ses objectifs principaux, la BCE a son mot à dire en termes de politique économique.
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A-t-elle le droit de couper les vivres aux banques grecques ? Le traitement de faveur accordé aux banques grecques, c'est la BCE elle-même qui a décidé de le mettre en place. La BCE est, dans ses statuts, indépendante des Etats et de toute instance politique. Elle peut donc, si bon lui chante, mettre fin à ce traitement de faveur aussi facilement qu'elle l'a mis en place.
Mais pour certains, la BCE trahit ses propres promesses en mettant un terme à ce traitement de faveur avant même de savoir si le gouvernement grec va accepter le plan d'aide internationale. "La BCE est allée à la limite de son mandat en suspendant cette exception sur la simple 'présomption' qu'un accord ne pouvait être trouvé", décrypte ainsi La Tribune jeudi matin. En clair, la BCE a le droit, mais ce n'est pas très "fairplay" pour les banques grecques.
Le coup de force historique de la #BCE contre la Grèce >> http://t.co/or3N9zTpFc Par @jl_delloropic.twitter.com/cqPbk7QOH8— Challenges (@Challenges) 5 Février 2015
Pourquoi la BCE n'attend pas la fin des négociations ? Avec cette décision, la BCE a préféré s'immiscer dans le débat diplomatique plutôt que de respecter ses promesses à la lettre. "C’est un message fort et sans ambiguïté", assure Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque, cité par Le Monde. Le "message" est adressé au gouvernement grec et il est clair : il faut accepter le plan d'aide internationale et ses conditions austéritaires. "Il y a encore quelques heures, la Grèce avait un réel avantage dans les négociations en cours. La situation s’est inversée et la ligne Francfort-Berlin a repris la main", poursuit l'économiste.
L'ultimatum de la BCE à la Grèce - A la Une du Monde aujourd'hui pic.twitter.com/ya3fVRkQYk— Luc Bronner (@lucbronner) 5 Février 2015
La décision de la BCE est-elle dangereuse ? Les banques grecques ne sont pas encore dans l'urgence. Les établissements helléniques peuvent toujours bénéficier d'un mécanisme d'urgence, appelé ELA, qui leur permet de recevoir des fonds de la Banque de Grèce, la banque centrale nationale, en cas de crise de liquidité. Grâce à ce mécanisme et "selon la BCE elle-même, le système bancaire grec reste suffisamment capitalisé et totalement protégé", assure le ministère des Finances grec.
Mais ce programme ELA se fait également sous conditions de respect du programme d'aide européen. Et la BCE, qui le chapote également, peut décider d'y mettre fin à tout moment. Si elle le fait, la Grèce risque de devoir quitter la zone euro, et tirer un trait sur tout accès à la monnaie unique. Une crainte qui a d'ailleurs bousculé la bourse athénienne : l'indice a perdu jusqu'à 9% jeudi matin.
Et sur l'ensemble de la zone euro ? "Les Bourses européennes ont ouvert dans le rouge mais le sentiment dominant est que le risque contagion sera limité. L'exposition des banques européennes à la dette grecque a été réduite à presque rien après 2012", détaille Le Figaro. En clair, à part en Grèce, la santé des banques grecques importe peu. Les autres pays de la zone euro, qui attendent un plan historique de 60 milliards d'euros annoncé par la BCE pour relancer la croissance, ont davantage intérêt à ce que la Banque centrale fasse attention à ses liquidités.