Le projet, jamais sorti du garage, finit à la casse avant même d'avoir pris la route. Le gouvernement a décidé de mettre fin au contrat avec Ecomouv', la société chargé de collecter l'écotaxe, a indiqué jeudi le secrétaire d'Etat aux Transports. Ni sa tentative de customisation en "péage transit poids lourds", ni la nécessité de trouver de l'argent pour entretenir les réseaux routiers, ni la volonté de vouloir réduire les émissions de CO2 n'ont suffit pour le faire démarrer.
Les conséquences potentielles de cette saga qui dure depuis 2011 sont loin d'être négligeables. Au total, entre la résiliation du contrat, le démantèlement des portiques et le remboursement éventuel des investissements d'Ecomouv', l'Etat, donc le contribuable, risque de payer plus d'un milliard d'euros pour rien. En outre, les 210 salariés de la société, basée à Metz, risque de se retrouver sur le carreau. Et c'est sans compter le coût en termes d'image qu'entraîne ce dénouement. L'image d'un Etat qui ne tient pas ses engagements.
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Mais que s'est-il passé ? À l'origine, l'écotaxe, votée en 2009 par la majorité précédente dans le cadre de la loi Grenelle1, prévoyait de taxer tous les camions de plus de 3,5 tonnes circulant sur les routes non payantes, soit plus de 15.000 kilomètres de réseau. L'idée : limiter les émissions de CO2 des camions et trouver des fonds pour réparer les routes. En 2011, un contrat de partenariat publique-privé est signé entre l'Etat, par la main de la ministre UMP Nathalie Kosciusko Morizet, et Ecomouv', détenue majoritairement par l'Italien Autostrade (70%), chargée de collecter la taxe.
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Mais un an plus tard, le pouvoir change de main. Puis en octobre 2013, face à la fronde de nombreux acteurs (agriculteurs bretons, chauffeurs poids-lourds….), le gouvernement de gauche décide finalement de geler le dispositif, censée entrer en vigueur en juillet 2013. En mai 2014, Ségolène Royal, ministre de l’Écologie entrée en fonction un mois plus tôt, présente une formule rénovée, pour une version réduite, qui ne devait concerner que 4.000 kilomètres de bitume : la "taxe transit poids lourds".
Mais la grogne ne s'est pas tarie. Et face à la menace d'une grève des chauffeurs routiers, Ségolène Royal décide début octobre de suspendre complètement le dispositif, sur lequel elle avait émis des doutes dès son arrivée au gouvernement. La ministre et le secrétaire d'État aux Transports, Alain Vidalies, publient alors un communiqué commun, dans lequel ils "prennent acte des difficultés de mise en œuvre de l'écotaxe, y compris dans la phase d'expérimentation". Le 30 octobre, le contrat avec Ecomouv' est résilié.
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Combien l'Etat risque-t-il de payer ? L'Etat devrait donc verser 830 millions d'euros à Ecomouv', selon les conditions de résiliation fixées par le contrat. Une résiliation après le 31 octobre, date butoir, aurait même coûté encore plus cher. Ecomouv' pourrait également demander le versement de 210 millions d'euros correspondant au loyer pour l'année 2014, ainsi que le remboursement des 650 millions d'euros investis pour la mise en place du dispositif - les fameux portiques - et 200 millions d'euros d'encours. Mais le secrétaire d'Etat aux Transports, Alain Vidalies, a refusé d'avancer un chiffre précis.
Le contrat est-il attaquable ? L'Etat va dans un premier temps engager des négociations avec Ecomouv'. Aucune durée n'a été annoncée pour ces discussions, mais si les deux parties ne trouvent pas d'accord, une procédure judiciaire pourrait alors être engagée par l'Etat, au motif que le contrat de partenariat public-privé (PPP) pourrait être anti-constitutionnel, s'agissant de la collecte d'une taxe.
La lettre de résiliation à Ecomouv' fera mention de "doutes" émis sur "la validité du contrat initial au regard des exigences constitutionnelles qui s'imposent à l'Etat, lorsqu'il confie à des personnes privées la gestion de certaines activités". "L'Etat ne va pas payer comme ça, l'Etat va discuter, et si vous voulez un chiffre, eh bien, je vais vous dire, le moins possible", a déclaré Alain Vidalies, jeudi sur RTL.
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Le contrat avec Ecomouv' est certes entaché de nombreux soupçons. Mais une commission d'enquête sénatoriale avait conclu, en mai dernier, qu'il avait été signé en bonne et due forme, relevant simplement certains surcoûts. Le Conseil d'État a également annulé, en 2011, une décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui avait suspendu le contrat après des accusations de conflit d'intérêts.
Que vont devenir les salariés ? Ecomouv' compte 210 salariés, à Metz et Paris. Ils travaillent avec 130 fonctionnaires des douanes, qui appartiennent au service de la taxe poids lourds, créé pour la perception de l'écotaxe. Les représentants des salariés, reçus au ministère de l'Ecologie et au secrétariat d'Etat aux Transports, ont obtenu un calendrier de rencontres pour mettre en place leur reclassement.
"On va aider les salariés de la société et les élus de l'agglomération de Metz qui sont concernés. On va être à leurs côtés pour essayer de trouver toutes les solutions possibles. C'est ça notre engagement", a promis Alain Vidalies. Mais les salariés sont encore loin d'être rassurés. "Au niveau des salariés on ne va pas s'arrêter là, on envisage des actions. On s'inquiète pour notre avenir, et notre direction nous soutient car on est dans le même bateau", prévient Virginie Abalo, délégué CGT.
Quant aux douaniers, le secrétaire d'État au Budget, Christian Eckert, avait assuré que "tout" serait fait pour leur éviter une nouvelle mutation, et qu'une mission des douanes serait transférée à Metz.
Que vont devenir les portiques ? Le coût du démontage des 173 portiques, installés par Ecomouv', reste à déterminer. Selon lefigaro.fr, il pourrait être compris entre 40.000 euros et 75.000 euros par portique, soit un total de 7 à 13 millions d'euros. Pour éviter de dépenser de telles sommes, l'Etat, devenu propriétaire des portiques, pourrait décider de les affecter à une autre utilisation. Des pistes seront étudiées dans le cadre des négociations avec les transporteurs routiers.
Alain Vidalies avait évoqué, mercredi devant le Sénat, une "utilisation potentielle pour les collectivités". Une organisation de transporteurs, l'OTRE, suggère de les affecter au contrôle des flux de circulation des camions étrangers, de leur respect de la législation en termes de personnels détachés et de cabotage routier. Mais pour la FNTR, autre organisation du secteur, cette solution "coûterait au moins quelques centaines de millions d'euros en plus", car "il faudrait démultiplier les portiques, y compris sur les autoroutes. Le budget d'entretien serait accru".