C'est une révolution dans l'épineux monde des statistiques. Pour la première fois, la ville de Shanghai a décidé de ne pas publier ses prévisions de PIB pour 2015. À la place, le maire Yang Xiong s'est contenté de résumer les réformes cruciales qui l'attendent : le développement d'une zone de libre-échange, quelques réformes économiques et sociales etc. La raison ? Le maire de Shanghai veut une "meilleure qualité et une plus grande efficacité" de son économie. "En renonçant à un objectif de PIB, la plus avancée des villes au plan économique donne le la au pays et envoie un puissant signal : il faut mettre un terme à la 'dictature du PIB'", décrypte ainsi Les Echos.
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Et c'est la Chine toute entière qui est en train d'opérer ce mouvement de fond. Le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang demandent depuis 2013 aux gouvernements locaux d'éviter de mesurer leur performance par le seul PIB. "Nous ne pouvons plus utiliser le seul PIB pour déterminer qui sont les héros du Parti communiste" chinois, avait déjà déclaré le président l'an dernier, rappelle le Financial Time. Car derrière la révolution statistique, c'est une révolution politique qui se prépare : le PIB ne doit plus être la mesure de la réussite d'un pays.
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Le PIB, c'est quoi déjà ? Le "Produit intérieur brut" donne un état des lieux de l'activité économique, d'un pays ou d'une ville par exemple. Il est la somme de toutes les transactions "finales" effectuées à l'intérieur d'un pays : consommation finale effective, formation brute de capital fixe, variations de stocks. Pour résumer, il est le résultat de la somme de recettes (hors subvention) et des dépenses (impôts compris) de tous ceux qui, dans le privé ou le public, font des transactions commerciales. Lorsqu'on parle de "croissance" ou de "récession" d'un pays, on parle de progrès ou de recul du PIB.
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Ce qu'on lui reproche. Le PIB calcule les mouvements économiques sur un temps court, à l'échelle d'une année ou d'un trimestre. Mais il ne tient pas compte du bien-être des habitants, des inégalités de revenus entre eux ou entre les régions, des effets d'un investissement sur le long terme ni de l'impact environnemental de l'économie. "Les critiques ne portent pas sur le PIB mais sur ce qu'il calcule. On ne prend pas en compte la dette, les stocks, les conséquences environnementales. On ne calcule pas comment on produit mais combien on produit", décrypte pour Europe1 Corinne Prost, chef du département étude de l'Insee.
Shanghai first major city in #China to ditch GDP growth target http://t.co/xtwxYQCiP0pic.twitter.com/ZfO0EEEmvY— Chris Cooper (@SinoCooper) 28 Janvier 2015
Pourquoi donc est-il tant utilisé ? Malgré ses défauts, le PIB est la boussole principale de nombreux gouvernement, à commencer par la France. Chaque année, la loi de programmation des finances, qui détermine le budget de l'Etat, se fixe des prévisions de croissance du PIB. Celles-ci sont ensuite transmises à l'Union européenne, qui les valide ou non. FMI, Banque mondiale, OCDE… Toutes les instances qui régulent l'économie mondiale s'en servent comme boussole. Pour Corinne Prost, "c'est un enjeu politique de mettre sur le devant de la scène tel ou tel indicateur". Mais même en cas de volonté politique d'abandonner le PIB, encore faudrait-il avoir un autre indicateur pour le remplacer.
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En 2009, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, confie à une commission internationale présidée par le Nobel d'économie Joseph Stiglitz la mission de trouver une alternative. Dans son rapport rendu la même année, la commission recommande de mieux prendre en compte les revenus, leur répartition et les activités à but non lucratif. Mais six ans plus tard, aucun gouvernement n'a pris en compte ces recommandations pour fixer des objectifs clairs.
Car "le PIB est un bon indicateur pour mesurer les flux économique pendant un trimestre donné. C'est un indicateur ancien, sur lequel il y a eu énormément de travaux. Il synthétise beaucoup d'infos sur la santé des entreprises. C'est pourquoi il est considéré comme fiable", explique Corinne Prost. "Il est aussi disponible plus vite que les autres. En France, toute une routine s'est mise en place qui permet de le calculer plus facilement que d'autres indicateurs", renchérit l'économiste.
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L'indicateur ne fait pas tout. Pourtant, il existe bel et bien des indicateurs déjà reconnus au niveau international, prenant en compte davantage de facteurs, de santé, d'éducation, d'égalité ou d'environnement. L'indice de développement humain (IDH) de l'ONU ou l'indicateur du mieux vivre de l'OCDE, par exemple. Peut-on espérer un jour les voir inscrits dans une loi de Finance ?
La France 20ème nation pour l IDH en 2014... pic.twitter.com/LzSyRopYTA— julienjanvier (@julienjanvier) 24 Juillet 2014
"Il serait raisonnable de le penser. Mais ces indicateurs contiennent des données, sur l'éducation, l'espérance de vie en bonne santé, le bien être, qui sont plus difficilement mesurables. C'est donc difficile de fixer des objectifs précis", explique l'économiste de l'Insee. "En outre, ces indicateurs ne changent pas aussi souvent que le PIB. Ils concernent le long terme. Il n'est donc pas aussi facile de communiquer dessus. Et c'est aussi pourquoi les médias y prêtent moins attention", poursuit-elle. Par ailleurs, "il serait faux de dire que le PIB, en France en tout cas, est le seul indicateur pris en compte. Il y a le chômage par exemple".
En outre, l'indicateur ne fait pas tout. Et même si l'on remplaçait le PIB, encore faudrait-il que les mesures politiques suivent. En 1970, par exemple, le Bouthan décide de remplacer le PIB par le BNB, le "Bonheur national brut", regroupant plus de 70 critères sur la bonne gouvernance, l'économie et l'environnement. Mais ce changement d'indicateur n'a, semble-t-il, que guère été suivi d'effets. En 2013, l'ONU a en effet publié un classement des 156 meilleures nations, selon les critères du BNB. Le Danemark y apparaît premier, la France 25e… Mais le Bouthan, seul pays à s'en servir officiellement, n'y apparaît pas du tout.