Les tensions. La France s'isole. Au nom de la Culture, elle n'hésite plus à résister aux Etats-Unis et à presque tous ses partenaires européens, au risque de faire capoter l'un des plus grands projets commerciaux de l'histoire de la planète. Alors que les pays du Vieux-continent se sont réunis vendredi pour décider de ce qui doit être débattu dans le cadre du futur accord de libre-échange avec les Etats-Unis, Paris continue en effet de se battre bec et ongles pour en exclure le secteur audiovisuel. Or, l'Union européenne a besoin de l'accord unanime des 27 États membres pour entamer les négociations. Et l'exécutif, de l'Elysée à Matignon en passant par le ministère de la Culture, menace de mettre son véto. Un diplomate français présents lors des discussions vendredi a confirmé que Paris ne céderait pas : "C'est noir ou c'est blanc. Il n'y a rien à négocier".
>>> On vous résume les enjeux de la discussion, capitale pour l'économie européenne, qui s'ouvre vendredi.
Ce que prévoit l'accord. Les Etats-Unis et l'Union européenne veulent faciliter leurs échanges commerciaux (investissements, biens et services). Concrètement, il s'agit de lever deux types d'obstacle : les taxes à la frontière (dits tarifs à l'importation) et surtout les barrières non-tarifaires, comme les quotas d'importations, les règles des marchés public (qui font, par exemple, que les Etats-Unis n'achètent jamais d'armes françaises) ou encore les différences de règlementations et de normes (dans le bâtiment, la cosmétique, l'agroalimentaire etc). Les Européens doivent s'accorder avant le mois de juillet pour savoir les secteurs qu'ils intègrent ou non dans la discussion.
Pourquoi il est si important. S'il est difficile de baisser davantage les taxes aux frontières, "la diminution des barrières non tarifaires pourra entrainer un véritable boom des échange", explique dans une tribune au Monde Marie-Françoise Calmette, de la Toulouse School of Economics. Ces barrières représenteraient, pour certaines entreprises, un manque à gagner pouvant aller jusqu'à 56% du prix des produits (dans l'aéronautique par exemple). Une étude du Center for Policy Research prévoit même, selon le scénario envisagé, un accroissement annuel du PIB européen de 68 ou 119 Milliards d'ici 2027 et de 50 ou 95 Milliards pour les Etats-Unis.
Pourquoi la France le bloque. Paris demande le maintien durable de "l'exception culturelle" européenne. Aujourd'hui, tout ce qui relève des services audiovisuels bénéficient de nombreux avantages que n'ont pas les autres secteurs marchands. Quotas qui imposent de ne pas trop importer de films étrangers, taxes anti-dumping, subventions… tout est mis en place pour placer la culture hors des lois du commerce. L'article 167 du traité de Lisbonne garantit ainsi "l'épanouissement des cultures" et " leur diversité nationale et régionale". La France exige tout simplement que la culture et l'audiovisuel soient exclus des négociations de l'accord.
La France n'a pas toujours été seule… Il y a quelques jours, 14 ministres de la Culture européens, dont ceux de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie, ont rallié la position française et cosigné une lettre adressée à la Commission européenne. Le Parlement européen a, lui aussi, demandé dans une résolution que les services culturels et audiovisuels soient exclus de la négociation. Mais ils n'ont pas été entendus des chefs d'Etats. "De plus en plus de membres de l'UE ont pris conscience, ces dernières semaines, du fait qu'il n'y avait pas besoin d'exclure tout le secteur audiovisuel", a ainsi affirmé mercredi une source européenne citée par l'AFP.
… Mais maintenant elle l'est (presque). Sous la pression des Etats-Unis, qui menacent d'exclure d'autres secteurs des négociations si Bruxelles écoute la France, l'Union européenne a en effet fait volte face. "Si le mandat confié à la Commission est affaibli, il y aura un prix à payer", a averti l'ambassadeur américain William Kennard, mercredi dans le Financial Times. Résultat : la France n'est soutenue plus que par les Belges, les Grecs et les Hongrois. "Nous avons 26 Etats membres qui peuvent accepter ce qui est mis sur la table et un Etat membre qui ne le peut pas. Il semble que la France soit plutôt isolée en ce moment", a, pour sa part, déclaré la ministre suédoise du Commerce, Ewa Bjorling.
Internet, au cœur de l'enjeu. Si la France insiste pour que l'ensemble du secteur audiovisuel soit exclu de l'accord, c'est surtout par peur des géants américains du web. "La France ne craint pas tant une déferlante américaine sur le cinéma ou l'audiovisuel public - les traités européens sont très protecteurs - que l'appétit des géants américains de l'industrie du Net (Google, YouTube, Netflix...) qui risquent de ne faire qu'une bouchée des métiers qui invoquent aujourd'hui 'l'exception culturelle' si cette dernière n'est pas gravée dans le marbre", résume ainsi Le Figaro. En clair, si à l'avenir, internet devenait le principal diffuseur de films, séries ou autres émissions en tout genre, Paris aimerait s'assurer que les artistes et réalisateurs européens puissent continuer à exister.