Le retour des hotlines payantes pour rapatrier des emplois en France, Jean-Louis Borloo avait déjà évoqué cette idée en 2004, puis Laurent Wauquiez après lui en 2010. Le nouveau ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a ressorti cette proposition du placard dans un contexte de sinistrose économique. Le calcul est simple : en permettant aux opérateurs de téléphonie mobile de rendre leurs hotlines payantes, ils relocaliseraient des centres d'appels dans l'Hexagone et créeraient donc des emplois.
Le temps d'attente gratuit depuis 2008
Arnaud Montebourg a évoqué cette piste mardi au cours d'une réunion avec les dirigeants des quatre opérateurs - Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free - et la ministre déléguée à l'Economie numérique, Fleur Pellerin. Depuis la loi Chatel de 2008, le temps d'attente lorsqu'on appelle une hotline est gratuit. Mais pour faire face aux coûts les opérateurs ont délocalisé leurs centres d'appels.
Au total, 65.000 téléconseillers travaillent pour des opérateurs téléphoniques, "en interne ou externalisés", indique un cadre de l'un de ces opérateurs à La Tribune. Mais la part des centres d'appels au Maroc et en Tunisie a explosé : ils représentent respectivement 40.000 et 15.000 emplois, selon le Nouvel Observateur.
60 centimes la minute et 60 secondes max d'attente
Pour Manuel Jacquinet, rédacteur en chef de la revue professionnelle En contact, faire payer le consommateur pourrait être la solution miracle. Il propose la création de "numéros illico" : une ligne où la prise d'appel est garantie en 60 seconde maximum, par des employés basés en France, pour un coût de 60 centimes d'euros la minute - dont 60% sont consacrés à la rémunération des salariés. "A 60 centimes d'euros la minute, on a la garantie qu'on peut payer correctement des salariés français dans des centres d'appels. Ça laisse un revenu de 24 euros de l'heure, suffisamment pour gérer, piloter, exploiter des centres d'appels en France", assure-t-il sur Europe 1. Manuel Jacquinet affirme que 12.000 emplois pourraient être créés dès l'an prochain dans l'Hexagone.
Olivier Duha, Coprésident de Webhelp, un opérateur français de centres d'appels, croit lui aussi en cette solution. Selon lui, les consommateurs français sont prêts à payer pour ce service : "certains ne souhaitent pas attendre 5 minutes dans une file d'attente et être baladés dans des serveurs vocaux automatiques." Le service devra en revanche être irréprochable. "Pas question de tomber sur une machine à partir du moment où c'est payant, le consommateur veut parler à un téléopérateur. Et le niveau de disponibilité doit être très élevé", détaille Olivier Duha.
De leur côté, les associations de consommateurs se montrent plus sceptiques. "On pourrait penser que c'est un bonne idée si on croyait une seule seconde que ça allait relocaliser l'emploi", juge Edouard Barreiro, de l'UFC Que Choisir, sur Europe 1. Selon lui, faire payer les hotlines permettra simplement aux opérateurs de gagner encore plus d'argent. "Ce qu'on oublie de dire, c'est que les hotlines étaient parties de France,alors qu'elles étaient encore payantes à l'époque. Ainsi, un grand opérateur téléphonique avait massivement fait migrer ses hotlines vers le Maroc", rappelle-t-il.
"Le consommateur sera absolument perdant dans l'histoire"
"Les opérateurs vont faire les pleureuses auprès du gouvernement, alors qu'ils continuent à bien gagner leur vie", dénonce encore Edouard Barreiro. "Il ne faut pas oublier que les hotlines payantes sont une moindre incitation à régler vos problèmes, puisque plus vous recevez de coups de téléphone, plus ça vous rapporte de l'argent. Le consommateur sera absolument perdant dans l'histoire. Et il n'y aura pas de retour des hotlines en France : il faut arrêter de rêver car il n'y a pas de petits profits", s'agace-t-il.
"Au lieu de se persuader que ça ne va pas marcher, il faut se poser la question de quelles sont les conditions dans lesquelles ça peut marcher", rétorque Olivier Duha. Il propose donc de "signer un pacte avec les opérateurs" : "on leur permet de réintroduire une ligne de revenu, le consommateur s'il le souhaite pourra cofinancer certains services de hotline, mais ils s'engageront à ce que ces appels soient pris essentiellement en France", explique Olivier Duha. Selon lui, le service pourrait même fonctionner "sept jours sur sept et 24 heures sur 24".
La Tunisie et le Maroc inquiets de ces annonces
Au Maghreb, on s'inquiète déjà de ces annonces : le secteur des centres d'appels au Maroc dépend à plus de 80% du marché français et à 30% des opérateurs télécoms français, selon le Nouvel Observateur. "Rapatrier les centres d'appels en France signifierait 5.000 à 10.000 jeunes en Tunisie sans emploi. Dans le contexte actuel, cela mérite réflexion", s'alarme Alain Guettaf, membre de la Chambre syndicale nationale tunisienne des centres d'appels et de la relation client, dans Les Echos.
Selon lui, les opérateurs téléphoniques français ne peuvent pas de permettre de rapatrier tous les emplois des hotlines dans l'Hexagone : "cela n'est pas réalisable quand on sait qu'une heure de téléopérateur coûte deux fois plus cher en France (20 à 25 euros) qu'au Maroc ou en Tunisie (12 à 14 euros)", assure Alain Guettaf. "Les entreprises françaises seraient les premières perdantes et se tireraient une balle dans le pied, d'autant qu'avec l'arrivée du quatrième opérateur mobile (Free) elles ne sont pas au mieux de leur forme", abonde en son sens Youssef Chraïbi, président de l'Association marocaine de la relation client.
Le Maroc en appelle à "l'amitié" avec la France
Au Maroc, on en appelle à "l'amitié" qui lie les deux pays. "Les entreprises françaises sont reçues au Maroc comme chez elles. A ce titre, elles engrangent des revenus importants et de gros contrats (...). La France n'a donc peut-être pas intérêt à taper en premier sur des pays comme le Maroc. On ne peut pas se dire ami et nuire à un secteur aussi stratégique pour le Maroc", déplore un homme d'affaire marocain dans les colonnes des Echos.
Reste à savoir si les opérateurs téléphoniques sont prêts à vraiment passer le pas. "Nous sommes prêts à faire des efforts des deux côtés, si on nous donne les moyens économiques. Tous les sujets sont liés entre eux, le sujet de l'emploi est lié aux sujets économiques. Et la question des relocalisations est un sujet qui n'a pas de sens tout seul", a estimé Stéphane Roussel, le patron de SFR, à la sortie de la réunion avec Arnaud Montebourg, qualifiée de "constructive" et "fructueuse".