"Je mets au défi quiconque de comprendre", dans le détail, sa fiche de paie, lançait Guillaume Poitrinal lundi. Ce chef d'entreprise a remis un rapport, coécrit avec le député PS Thierry Mandon, contenant 50 mesures pour simplifier la vie d'une entreprise. Les deux hommes, visages du Conseil de la simplification crée par François Hollande, veulent "faire gagner du temps et économiser de l'argent" aux sociétés françaises. Et parmi les mesures préconisées il y a, donc, la possibilité de simplifier le bulletin de paie. Plus simple à dire qu'à faire...
En quoi consiste la mesure proposée ? "La France est l'un des seuls pays où le chef d'entreprise ne peut pas remplir la fiche de paie", a expliqué Guillaume Poitrinal, affirmant que le coût d'un seul bulletin de paie chaque mois allait "de 50 à 150 euros". L'objectif affiché par le rapport est de réduire le nombre de lignes sur le bulletin, en le faisant passer d'une trentaine en moyenne aujourd'hui à 5 ou 6.
>> Aujourd'hui, une fiche de paie, ça peut ressembler à ça :
Bonne nouvelle: les fiches de paie vont être simplifiées! http://t.co/hZXtMzTi5q#ONPDPpic.twitter.com/Y3SKGsvJHR— ONPDP (@pigeonsfrance4) April 14, 2014
Comment ? En généralisant notamment la déclaration sociale nominative (DSN) unique, en test depuis 2013 dans une trentaine d'entreprises, qui remplace la trentaine de formulaires que remplissent les entreprises pour l'Urssaf, Pôle emploi, les organismes de formation et autres mutuelles et caisses de retraite.
Combien coûte vraiment une fiche de paie ? Alléger les fiches de paie, les patrons en rêveraient. Et ils y gagneraient sûrement en compétitivité. De l'avis de certaines sources internes au Conseil de la simplification, le chiffre de 50 à 150 euros paraît certes un peu exagéré. Mais les coûts ne sont pas moindres non plus.
Les estimations tournent entre 13 et 33 euros par mois et par salarié. Pour le site spécialisé en ressources humaines Myrhline, le chiffre de 13 euros est par exemple le coût moyen pour une entreprise de 300 personnes qui fait faire ses fiches de paie en interne. Pour celles qui facturent à un cabinet d'experts comptables, notamment les PME, qui n'ont pas les compétences en interne, le montant est plus élevé. Il grimpe ainsi en moyenne à 21,50 euros et peut aller jusqu'à 33 euros, selon une étude du spécialiste américain ADP, relayée par la revue Profession comptable. Dans le reste du monde, le coût moyen est estimé à environ 15 euros, selon ADP.
Pourquoi est-ce si cher en France ? Si la production d'une fiche de paie coûte autant, ce n'est évidemment pas à cause des frais d'impression. Le temps de travail, d'abord, est à prendre en compte. Un comptable doit, pour réaliser les bulletins, collecter une masse énorme d'informations sur le salarié et l'entreprise : statut juridique des contrats, temps de travail de l'employé, variable de paie, etc. Il doit également, établir et communiquer aux organismes publics toutes les informations concernant la situation sociale d'un salarié (retraite, cotisations chômage, santé etc.). Avec, pour chaque information, un interlocuteur différent à qui s'adresser.
>> La revue Profession comptable publie les détails des coûts par ici
Selon la revue Profession comptable, il faut en moyenne un peu plus de 25 minutes de travail pour élaborer un bulletin mensuel. Et le temps, c'est de l'argent. "Cela fait, en moyenne, du 80 euros de l'heure. Si vous emmenez votre voiture au garage, c'est à peu près le même prix. C'est le prix d'un service", avance pour Europe1.fr André-Paul Bahuon, président de la Compagnie des conseils et experts financiers (CCEF) et du groupe Creatis. Des frais de main-d'œuvre auxquels il faut ajouter d'autres frais, liés à l'acquisition et la maintenance de logiciels pointus, ou à divers autres coûts de documentation.
Le Conseil de simplification est-il sur la bonne voie ? Les mesures avancées par Thierry Mandon et Guillaume Poitrinal sont-elles à la hauteur ? Selon le cabinet de conseil Ernst & Young, diviser ne serait-ce que par deux le nombre actuel de lignes sur les bulletins se traduirait par une économie de près de 100 millions d'euros par an pour les entreprises françaises. Mais le chiffre est à saisir avec de délicates pincettes.
"Atteindre les 5 ou 6 lignes me paraît très difficile. Il faudrait, pour cela, regrouper les collecteurs de charges sociales. Or, ils sont tous très autonomes. Et il en existe des centaines", prévient l'expert comptable André-Paul Bahuon, qui n'y croit pas beaucoup. Et "pour chaque fiche de paie, même s'il n'y a vraiment que 5 à 6 lignes dessus, on pourrait économiser 10 à 15% de frais tout au plus", poursuit ce spécialiste. Car selon lui, malgré les promesses des rapporteurs, le travail en amont (inscription du salarié aux divers organismes sociaux, par exemple) et en aval (calcul des charges sociales à transmettre aux organismes) du bulletin de paie restera considérable. "L'Etat n'a toujours pas harmonisé ses bases de calcul de cotisations", déplore encore l'expert.
Un (très) vieux serpent de mer. La volonté politique d'alléger les fiches de paie n'est pas nouvelle. "Il y a vingt ans, des membres du cabinet de Lionel Jospin, alors Premier ministre, venaient déjà me demander des conseils sur le sujet. Ça n'a pas vraiment changé depuis", raille André-Paul Bahuon. En réalité, il a failli y avoir des avancées. En février 2012, l'Assemblée votait une loi visant à réduire "le nombre de données figurant sur le bulletin de paie".
>> Le gouvernement Fillon avait d'ailleurs présenté une ébauche de nouvelle fiche de paie :
Cette loi stipulait qu'au 1er janvier 2015 au plus tard, les bulletins de paie devaient être "harmonisés" dans le sens d'un allègement de lignes. Or, de l'avis du rapporteur Thierry Mandon lui même, le chantier sera encore long : "il faudra entre deux ans et 30 mois pour refondre l'architecture des collecteurs des différentes cotisations qui expliquent la complexité de la fiche de paie".
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