L’INFO. Derrière les termes très champêtres de "carnet de lait" et de "vaches" se cachait en fait un système de démarchage de riches Français pour les aider et les inciter à frauder le fisc français en transférant leurs fonds dans les coffres de la banque suisse UBS. Ce système a en partie été révélé par Nicolas Forissier, ancien responsable de l’audit interne d’UBS France. Ce dernier, licencié suite à ses révélations, est revenu lundi pour Europe 1 sur cette affaire et les pressions qui ont suivi.
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L’AFFAIRE
La fraude. Les juges financiers parisiens soupçonnent la banque UBS d'avoir mis en place un système de démarchage illicite de clients en France les incitant à ouvrir des comptes non déclarés en Suisse dans les années 2000. Un système dont Nicolas Forissier a confirmé l'existence : "j’ai découvert un système de comptabilité parallèle qui s’appelle le ‘carnet du lait’ alimenté par des fichiers qu’on appelait ‘vaches’, fichiers destinés à faire ouvrir des comptes à des ressortissants français ou non à l’extérieur, donc en dehors de nos frontières. Bien évidemment des comptes non déclarés participant à la fraude et à l’évasion fiscale", a-t-il résumé.
Lors d’invitations à des évènements sportifs, culturels ou mondains, "vous aviez des chargés d’affaires suisse qui venaient démarcher en France de manière illégale pour drainer l’épargne française et les clients français, pour leur faire ouvrir un compte de l’autre côté des frontières, que ce soit en Suisse, au Luxembourg ou ailleurs", a-t-il détaillé. La banque suisse a donc été mise en examen par la justice française.
Des montants qui se comptent en milliards. Il faut dire que l’enjeu est énorme, puisque la fraude représenterait "60 à 80 milliards d’euros qui quittent la France pour l’ensemble des banques et des acteurs économiques", dixit l’ex-banquier. Et ce dernier de préciser qu’UBS a aidé à faire sortir frauduleusement "plus de 20 milliards de dollars" des Etats-Unis et "plusieurs centaines de millions d’euros par an" en ce qui concerne la France.
Des "personnalités" françaises impliquées. "Ce sont de riches industriels, des gens du showbiz, des peoples, des sportifs, tout. Y compris des personnalités politiques", a précisé Nicolas Forissier, se refusant cependant à donner des noms. Y a-t-il dans cette liste des ministres en postes en 2007 ? "Non, pas en poste", mais des anciens ministres "c’est possible". Seule certitude, ces noms "vont tous sortir, sans exception, et avant le 30 juin 2014 puisque le secret bancaire n’existera plus au-delà entre certains paradis fiscaux et la France".
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"ON M’ÉCOUTE MAIS ON NE FAIT RIEN"
Il dénonce, il est licencié. Nicolas Forissier était responsable de l’audit interne d’UBS France, avec donc pour mission de faire respecter la loi bancaire française. Lorsqu’il commence à déceler des pratiques illégales à partir de 2008/2009, il "en parle à ses supérieurs, aux autorités de tutelle, à toutes les administrations compétentes en la matière". "On m’écoute mais on ne fait rien. Le résultat, c’est que je suis licencié pour mensonge, faute grave avec mise à pied. Tout simplement parce que j’ai dénoncé ce comportement illicite de la banque", regrette-t-il aujourd'hui.
"J’ai eu peur pour ma vie et j’ai peur pour ma famille". Nicolas Forissier pourrait être considéré comme un "lanceur d’alerte", au même titre qu'Edward Snowden ou Daniel Ellsberg, mais il est aujourd'hui un homme seul, et inquiet : "j’ai peur parce que je ne suis absolument pas protégé. J’étais une victime et on m’a traité comme un coupable". "Les services d’Etat qui devaient me protéger ont fait exactement l’inverse puisque j’ai été placé sur écoute, sous surveillance. De grands services d’Etat le savent et j’en ai la preuve. C’est extrêmement difficile de se battre seul face à la fois à de gros groupes privés puissants, surpuissants, et les administrations d’Etat. J’ai eu peur pour ma vie et j’ai peur pour ma famille".
ET APRÈS ?
La future loi "vraiment très, très importante". Pour mettre fin au flou juridique dont profitent les banques peu scrupuleuses, le gouvernement prépare une nouvelle loi. Une nouvelle législation "vraiment très, très importante" aux yeux Nicolas Forissier, qui souligne que les députés en charge de ce dossier, les socialistes Yann Galut et Françoise Mazetier, lui "ont apporté une écoute et un soutien". Cette loi doit être présentée mardi. La Suisse elle même commence d'ailleurs à se mettre un minimum en règle pour éviter de se voir imposer une réglementation plus stricte.
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Une solution négociée dans les tuyaux ? Si le patron de la filiale française d'UBS assure qu’il n’a "pas trouvé aujourd'hui un cas de fraude organisée par UBS France", il n’en demeure pas moins que la filiale française a été mise en examen. Il n’est pas pour autant certain que cela débouche sur un procès un jour puisque la loi française propose depuis 2011 une procédure de "plaider-coupable" si tous les acteurs concernés sont d’accord. Or dans un rapport sur ses résultats trimestriels paru fin octobre en Suisse, la banque envisage cette possibilité. Tant pour stopper les enquêtes en cours que pour ne pas troubler la discrétion chère aux banques.
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