La branche énergie d'Alstom deviendra-t-elle allemande ou américaine ? Le Conseil d'administration du fleuron industriel français a indiqué mercredi sa préférence pour l'américain General Electric (GE). Mais il ne ferme pas la porte à d'autres offres. Et l'allemand Siemens, officiellement en course depuis mardi, a déjà décidé de muscler son offre. Mais au-delà des sociétés, c'est un duel d'hommes qui se joue.
DEUX STRATÉGIES : IMPLICATION VS DISCRÉTION
L'Américain Jeffrey R. Immelt, patron de Général Electric depuis 2001, est celui qui se montre le plus dans les négociations. Comme Joe Kaeser, son homologue allemand de chez Siemens, il a rencontré François Hollande lundi. Alors que l'Allemand s'est refusé à tous commentaires, son rival américain a tout de suite salué un dialogue "ouvert, amical et productif". Mardi, l'Américain a même signé une lettre envoyée directement à François Hollande, promettant des emplois et des investissements en France. "L’offre est bonne pour Alstom, elle est bonne pour GE, elle est bonne pour le pays", a-t-il encore déclaré mercredi, au téléphone, à plusieurs journalistes.
Joe Kaeser, lui, n'intervient pas publiquement dans les négociations. Il faut dire qu'il a déjà la préférence du gouvernement français, qui préfère voir le fleuron tricolore Alstom rester en Europe. Et il n'a pas grand intérêt non plus à personnaliser le débat.
DEUX IMAGES : POLÉMIQUE VS POLICÉE
Joe Kaeser, le controversé. Apprécié dans son groupe pour sa fidélité (il y travaille depuis 1980 et a gravi tous les échelons), son "humour et sa simplicité", comme le raconte La Tribune, (il a rasé son historique moustache après avoir pris les rênes de Siemens, pour signifier un "nouveau départ du groupe"), Joe Kaeser n'est, en effet, pas forcément bien perçu dans l'opinion publique.
Début avril, le patron de Siemens s'est notamment illustré pour avoir réaffirmé l'engagement de Siemens dans ses contrats avec la Russie, en plein conflit avec l'Ukraine. Alors que l'Europe et les Etats-Unis condamnaient Moscou, il rendait, lui, visite à Vladimir Poutine pour discuter business. Une attitude largement condamnée, y compris en Allemagne, et qualifiée de "baveuse" par le journaliste américain Thomas Friedman. Joe Kaeser est aussi connu comme le seul cadre à avoir conservé son poste après un vaste scandale de corruption chez Siemens, en 2006, alors qu'il était directeur financier. "Sans doute grâce à de solides réseaux internes", écrit Le Monde en juillet dernier.
Jeffrey R. Immelt, le bon élève. Le patron de GE bénéficie, lui, d'une image plus policée. Impliqué dans deux organisations caritatives (pour l'aide aux pauvres à New York et la promotion des femmes dans les affaires), il s'est même vu confier une mission contre le chômage par le président démocrate Barack Obama, malgré son appartenance à un lobby conservateur et son admiration pour le républicain Ronald Reagan.
Dans le Time, en 2008, Immelt est également décrit comme un "homme de dialogue" vis-à-vis de ses employés. Là où Joe Kaeser est accusé d'avoir "ruiné le dialogue entre la direction et le personnel", selon Le Monde, pour avoir annoncé "à la hussarde" des dizaines de milliers de suppressions d'emplois (il promet, toutefois, de préserver l'emploi chez Alstom en cas de rachat).
POUR LES DEUX : ALSTOM EST "L’ÉPREUVE DU FEU"
Mais malgré cette différence d'image, les deux sont reconnus comme des "pragmatiques" avant tout. "Si c’est de l’amour que vous cherchez… franchement, mieux vaut s’acheter un chien!", déclarait Jeffrey R. Immelt, en juin dernier, lors d'un colloque où il donnait sa vision des affaires. En clair, pour les deux hommes, "business is business". Et ils comptent bien se servir d'Alstom pour rebondir dans le leur, de business. Car tous deux se situent à la croisée des chemins, par pour les mêmes raisons.
Joe Kaeser, 56 ans, n'a pris les rênes de Siemens qu'en juillet, après l'éviction de Peter Löscher, son prédécesseur. Mais il est directeur financier du groupe depuis 2006, et cadre depuis longtemps. Il a donc participé, au moins indirectement, aux résultats décevants du groupe ses dernières années. Les négociations autour d'Alstom sont rien de moins que "l'épreuve du feu" pour Joe Kaeser, selon Der Spiegel.
Jeffrey R. Immelt, 58 ans et dirigeant de GE depuis 2001, mise également gros avec cette tentative de rachat. Une tribune de 2012 dans le magazine Forbes le rangeait comme parmi les 5 grands patrons qui "mériteraient de prendre la porte". En cause notamment : une baisse de l'action du groupe, depuis 2001, d'une trentaine de dollars à 19 dollars, après être descendue à 8 dollars durant la crise.
ANTISÈCHE - Le point sur les négociations
L'INFO - Alstom accepte l'offre de General Electric mais...
DÉCRYPTAGE - L’Etat français peut-il empêcher le rachat ?