Il y a l’hospitalité inconditionnelle que les philosophes et les systèmes religieux défendent. Et puis il y a cent formes d’hospitalité que nous pratiquons couramment. Donnons-nous quelques repères pour en parler.
Ce qui était normal hier
Imaginons-nous sous notre meilleure lumière et voyons-nous en hôte généreux, ouvrant notre maison au visiteur inopiné comme à nos amis et à notre famille. Le premier constat est que nous ne le faisons plus quotidiennement. Nous ne sommes pas hospitaliers à la façon libérale des riches maisons aristocratiques du Grand Siècle pour lesquelles avoir de la compagnie était la norme et être seul l’exception. Ni à la façon d’un monde rural depuis longtemps disparu et traditionnellement lié à ses réseaux locaux par mille obligations codées d’hospitalité réciproque sinon toujours naturellement solidaire.
Nous n’assumons plus bien des obligations hospitalières que nos parents et grands-parents remplissaient envers les membres les plus fragiles ou isolés de leur famille. Ils accueillaient chez eux, volontiers ou à contre cœur, les tantes restées célibataires, le vieil oncle devenu pauvre dans son âge avancé ou l’enfant handicapé, parce que cette forme d’hospitalité allait de soi. Bien des déjeuners du dimanche et des piques niques à la campagne n’avaient pas lieu sans eux. Ils ont nourri bien des rancunes et des joies familiales.
Sans compter les longs séjours des visiteurs, amis ou membres de la famille venus de loin. Les voyages, jusqu’à la fin du XIXème siècle et très avant dans le XXème siècle, étaient longs, pénibles, coûteux et risqués. Un ami venu de loin pouvait passer l’hiver dans une maison bourgeoise amie ! Les familles envoyaient leurs enfants, et particulièrement leurs filles, chez leur parenté qui vivait dans la capitale pour toute « la saison », celle des bals d’hiver et des sorties à l’Opéra. Un journalier venu l’été travailler dans une ferme n’était pas renvoyé purement et simplement l’hiver venu, sans que le fermier s’inquiète de son abri ou lui en offre un, même précaire et peu confortable.
Hospitalités courantes d’aujourd’hui
Qu’est-il arrivé pour que nous n’exercions pratiquement plus ces formes si diverses d’hospitalité chez nous ? L’État et ses institutions, le marché et ses multiples formules d’accueil ont pris le relais. L’enfant handicapé ou le vieillard malade sont accueillis au sein de systèmes montés au nom de la solidarité collective. Les voyageurs vont à l’hôtel. Le fermier ne se sent plus d’obligation à l’égard de l’ouvrier agricole. Il suppose que ce dernier rentre chez lui.
Mais combien de vieilles mères déménagent tardivement pour habiter dans le quartier où habitent leurs enfants ! Combien de jeunes familles emménagent dans la maison de leurs parents pour épargner à ces derniers la solitude du grand âge ! Combien de parents retardent aussi longtemps que possible, le « placement » en institution d’un enfant handicapé ! Et combien d’adultes qui traversent une période de vulnérabilité sont hébergés chez leurs parents …C’est dire que bien des formes de solidarité familiale survivent parce que ni les institutions, les associations ou le marché ne répondent pas à tous les besoins et tout particulièrement aux besoins affectifs des uns et des autres. Dans tous ces cas, chacun se donne librement l’obligation de l’hospitalité.
Mais on dit aussi que « c’est normal de s’aider en famille » ou bien « c’est normal de tendre la main à quelqu’un qui en a besoin ». Et si on trouve ça « normal » c’est que l’hospitalité est une qualité sociale comme la solidarité est un rapport social. L’hospitalité est une valeur à laquelle nous sommes attachés collectivement même si elle se vit différemment et avec d’autant plus d’intensité que notre personnalité est plus ou moins altruiste.
Mais où est passé le contrat que l’hôte accueillant passe avec l’accueilli ? Il est temps d’y retourner pour aller voir de plus près ce que veut dire, au fond, ce contrat qu’il contracte librement.
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