Malgré la mise au point de Matignon, le débat est relancé. Dans un entretien accordé avant sa nomination, le nouveau ministre de l’Economie a déclaré au Point qu’il n’était pas contre une abrogation de la semaine de 35 heures. Et Emmanuel Macron de citer l’exemple des accords de maintien de l’emploi, qui permettent déjà de modifier les 35 heures dans les entreprises en difficulté : "nous pourrions autoriser les entreprises et les branches, dans le cadre d'accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunérations. C'est déjà possible (...) pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre ce dispositif à toutes les entreprises ?". Mais quel est le bilan de ce dispositif introduit il y a un peu plus d’un an ?
Qu’est-ce qu’un accord de maintien de l’emploi ? Ce dispositif, mis au point par les partenaires sociaux en janvier 2013 et transformé en loi en mai 2013, est censé incarner la flexisécurité : il offre la possibilité aux entreprises en grande difficulté de négocier un accord avec ses salariés. L’entreprise s’engage à ne licencier personne pendant deux ans et, en échange, les salariés acceptent une baisse de leur salaire et/ou un allongement de leur temps de travail.
Un bilan bien maigre. Quinze mois plus tard, très peu d’entreprises se sont laissées séduire : bien que la crise perdure, seules cinq entreprises ont adopté un accord de maintien de l’emploi, selon les chiffres que nous a communiqué le u ministère du Travail. Quand Emmanuel Macron propose de généraliser ce dispositif, il n’est donc pas sûr qu’il soit suivi par les entreprises. Comment expliquer que les accords n’aient pas eu plus de succès ?
Un dispositif (trop) contraignant. La première raison tient à la nature même de ces accords : il est toujours difficile pour les salariés de revenir sur leurs acquis et les entreprises n’aiment pas s’engager sur la durée lorsqu’il s’agit d’emploi. Mais pas seulement. "Ces accords sont très encadrés, assez exigeants, il y a donc une grande réticence des entreprises", décrypte Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail (IST), pour Europe 1.
Avant de préciser que "ces accords sont fixés dans la loi à deux ans maximum et avec des sanctions pénales si les engagements qui ont été chiffrés ne sont pas respectés. C’est ce qui explique d’ailleurs en grande partie les difficultés pour les uns et les autres à signer ces accords."
Et pas forcément indispensable. Face à ces contraintes, les entreprises y regardent donc à deux fois avant de s’engager. Et certaines ont préféré faire autrement : PSA et Renault ont passé en 2013 des accords avec les syndicats, mais en dehors de la loi. Et ce ne sont pas les 35 heures qui les préoccupaient.
"La question n’est pas tellement les 35 heures dans ces accords", précise Bernard Vivier. "Il peut y avoir des mesures de relèvement de la durée de travail mais ce n’est pas la seule. Ce qui est important, ce n’est pas tant d’augmenter massivement la durée du travail que de donner de la flexibilité, de la souplesse. Donner de souplesse aux entreprises et donner de la sécurité aux employés", poursuit-il.
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Les 35 heures, un faux problème ? "En fait, revenir sur les 35 heures n’est pas la grande préoccupation des entreprises, comme le demande une grande partie du Medef ou de l’UMP. (…) Et si on repasse de 35 heures à 39 heures, on va mettre les entreprises dans l’embarras : un salarié va apprendre du jour au lendemain qu’il ne travaille plus 35 mais 39 heures. Bonjour les dégâts. Et les entreprises vont dire ‘on a formaté leur organisation du travail autour des 35 heures, qu’est-ce qu’on fait ?’ ", prévient Bernard Vivier.
"Les entreprises se sont organisées et adaptées aux 35 heures. Il est beaucoup plus astucieux d’effacer les coûts fiscaux et sociaux du passage de 35 heures à 39 heures que d’annuler la loi qui a instauré les 35 heures dans notre pays", estime-t-il.
Dès lors, le débat devient plus politique qu’économique au yeux du directeur de l’IST : "le gouvernement de François Fillon avait déjà détricoté les 35 heures de façon astucieuse en supprimant les pénalités financières qui grevaient le travail opéré par les salariés entre 35 et 39 heures (défiscalisation des heures supplémentaires, ndlr). Arrivé au pouvoir, François Hollande a effacé cette mesure sur les heures supplémentaires. Nous voyons dans la déclaration d’Emmanuel Macron l’intention de revenir à cet effacement discret et progressif".
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