"Nous, Français, nous ferions bien de nous inspirer du modèle allemand en termes de croissance économique". La phrase, prononcée fin avril dernier, est signée de Jean-François Copé. Comme le patron de l'UMP, la classe politique française a tendance à prendre l'économie allemande comme modèle. A juste raison ? Entre faible taux de chômage et croissance dynamique, Europe1.fr s'est penché sur les dessous de ce "modèle allemand".
Dix ans de politique économique stricte
L'Allemagne récolte en fait aujourd'hui les fruits d'une politique économique stricte menée depuis une dizaine d'années. "En 2003, l'Allemagne connaît une profonde récession. L'Europe entière la pointe du doigt", rappelle Isabelle Bourgeois, chercheuse au Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (Cirac). Acculé, le chancelier Gerhardt Schröder n'a d'autre choix que d'entreprendre de profondes réformes qui vont relancer l'économie. Les résultats sur la croissance et l'emploi, notamment, sont au rendez-vous mais au prix de certains efforts.
Pour relancer l'emploi et la compétitivité, la loi Hartz II adoptée cette année-là permet la création de contrats de travail précaires : les mini-jobs, des emplois à temps partiel payés 400 euros maximum par mois, et aux charges fortement réduites. "Ces mini-jobs devaient être un tremplin, servir de marche-pied vers du temps complet mais ça n'est pas le cas", observe Rémi Lallement, chargé de mission au Centre d'analyse stratégique (CAS). Ces mini-jobs, destinés au départ aux jeunes, sont en fait occupés par des étudiants, des femmes aux foyers ou des retraités. "C'est raté !", dit Isabelle Bourgeois, "ils n'ont pas profité à la population identifiée au départ".
"Un marché de l'emploi à deux vitesses"
Entre 2000 et 2010, la France et l'Allemagne ont chacune créé 2 millions d'emplois. Mais alors qu'en France, il s'agissait de postes à temps complet, les réformes en Allemagne ont contribué à surtout créer des emplois à temps partiel.
Et même, "en Allemagne, l'emploi à temps plein a globalement diminué entre 2000 et 2010", note Rémi Lallement. Et c'est le secteur de l'industrie qui en a particulièrement souffert : les chiffes d'Eurostat, l'agence statistique européenne, montrent une désindustrialisation aussi rapide des deux côtés du Rhin. Mais selon Rémi Lallement, "les gains de productivité permettent de payer des salaires plus élevés à des employés moins nombreux. "On a donc un marché de l'emploi à deux vitesses", conclut-il.
Un rattrapage de croissance
Du côté de la croissance, l'Allemagne affichait un taux insolent de 3,6% en 2010, contre 1,6% en France. "Mais il faut regarder à plus long terme", avertit Rémi Lallement. "En 2009, la chute de la croissance allemande a été beaucoup plus forte qu'en France", rappelle-t-il. Après avoir perdu plus de 5% de PIB cette année-là, l'Allemagne rattrapait donc son retard. Sur dix ans, le taux de croissance annuel moyen de la France est donc de 1 % et celui de l’Allemagne de 0,8 %, note Eurostat.
Dépeinte depuis des années comme la championne d'Europe des exportations, l'Allemagne a affiché un excédent commercial de près de 130 milliards d'euros en 2011 - contre un déficit de 72,5 milliards pour la France. Mais, note l'équipe de recherche économique de Natixis, nos voisins ont en fait surtout profité de leur "dotation naturelle et capitalistique (infrastructures portuaires de Hambourg et Bremerhaven)". En clair, une partie des exportations allemandes vient du réexport direct de certains produits depuis les deux grands ports du pays vers le reste de l'Europe.
La vraie force de l'Allemagne est en fait d'avoir su se réformer à temps, insiste Isabelle Bourgeois. "Elle a été acculée par plusieurs crises et a été la seule en Europe à avoir fait une série de réformes économiques que tous les autres avaient aussi promis de faire dans les années 2000", note-t-elle.
"Les Allemands n'ont rien inventé"
"Les Allemands n'ont rien inventé. Ils ont l'habitude de faire des efforts et se serrent la ceinture", tempère-t-elle. Mais ce modèle allemand n'est pas transposable en l'état en France et dans le reste de l'Europe, avertissent les deux spécialistes "Si tout le monde se serre la ceinture, on tire toute l'activité économique vers les bas", prévient Rémi Lallement.