Le rapport. Voilà qui va une nouvelle fois lancer le débat sur le coût du travail. Dans un rapport présenté ce mardi, le sénateur communiste du Nord, Éric Bocquet, s'inquiète de l'émergence des salariés "low-cost". Le nombre de salariés frauduleusement employé à moindre coups aurait ainsi triplé en trois ans, passant de 110.000 en 2010 à 300.000 en 2013.
Un travailleur "low cost", c'est quoi ? Dans le jargon, on parle plutôt de "travailleur détaché". Le principe : les entreprises font appel un prestataire de service d'un pays étranger, qui lui fournit de la main d'œuvre. Le prestataire étranger à l'obligation de se plier au droit du travail du pays d'accueil, y compris en matière de rémunération. Mais il ne doit payer les cotisations sociales que de son pays d'origine. Concrètement, si une entreprise française demande à une agence d'intérim en Pologne de lui fournir de la main d'œuvre, celle-ci paiera les cotisations sociales polonaises, en moyenne 30% moins élevé qu'en France.
En théorie, le détachement de salariés répond "au besoin de travailleurs spécialisés en vue d'effectuer une tâche de nature complexe dans un autre État membre de l'UE confronté à un manque de main d'œuvre dans ce domaine précis", indique le rapport. Plus de la moitié des détachements (55%) concernent l'industrie et la construction, mais tous les secteurs sont concernés (transports, agriculture, événementiel...). Or, de nombreuses entreprises profitent de se système pour employer à moindre coût, sans forcément être "confrontées à un problème de main d'œuvre" qui pourrait se résoudre avec la main d'œuvre du pays fournisseur en particulier.
Combien de "travailleurs détachés"? La Commission estimait leur nombre en Europe à 1 million en 2009, un chiffre qui atteindrait 1,5 million aujourd'hui, écrit Éric Bocquet. En France, le nombre de travailleurs déclarés comme détachés a été multiplié par quatre depuis 2006, passant de près de 38.000 salariés à environ 145.000 en 2011. Mais, indique le rapport, beaucoup de salariés ne sont pas déclarés et "le chiffre de 300.000 salariés low-cost détachés en France au mépris du droit communautaire semble crédible". "En période de crise, ce chiffre devient un réel problème politique tant il peut générer au sein de la population le sentiment d'une captation des emplois par des salariés étrangers forcément moins coûteux", écrit le sénateur communiste, évoquant du "dumping social".
Quels sont les types de fraudes décelées ? Pour Éric Bocquet, "l'absence de dispositions concrètes en matière de contrôle constitue une des raisons principales de cette explosion de la fraude au détachement" qui "fait souvent apparaître cascade de sous-traitants (...) et sociétés 'boîte aux lettres' au sein du pays d'envoi".
Le sénateur souligne, par exemple, le cas d'un sous-traitant de Carrefour qui aurait fait commande, en Roumanie, à un prestataire de service géré par… son fils. Ou encore ces "montages complexes utilisés pour faire baisser les coûts", citant par exemple la société Atlanco, sélectionnée par le groupe Bouygues pour le chantier du réacteur nucléaire de l'EPR à Flamanville. "Cette société de travail intérimaire irlandaise, basée à Chypre, recrutait ainsi des travailleurs polonais rémunérés aux conditions de leur pays, leurs heures étant par ailleurs insuffisamment comptabilisées. 38 accidents du travail n'avaient, par ailleurs, pas été déclarés".
Le rapport cite également le cas d’entreprises "luxembourgeoises qui recrutent des travailleurs français qu’elles affilient au régime local avant de les mettre à disposition d’une société française. Ces sociétés n’ont, la plupart du temps, aucune activité réelle sur le territoire luxembourgeois et les intérimaires français n’ont, quant à eux, jamais travaillé dans le Grand-Duché.
Un meilleur contrôle "illusoire" ? Selon le sénateur, le dispositif de contrôle peut apparaître comme "une réelle coquille vide". Mais les pays sont divisés au sein de l'Europe, entre les partisans du changement, comme la France, et ceux du statu quo. D'après le parlementaire, deux points font particulièrement blocage : l'instauration d'une liste précise des mesures de contrôle que peut imposer un État à une entreprise étrangère et la création pour le seul secteur de la construction d'un "mécanisme de responsabilité solidaire" du donneur d'ordre, qui pourrait alors être tenu responsable en lieu et place du sous-traitant direct.
La France et d'autres Etats comme la Belgique et l'Espagne aimeraient ne pas restreindre la liste des moyens de contrôle et étendre la responsabilité solidaire à d'autres secteurs. Mais les nouveaux Etats membre et le Royaume-Uni sont contre. Pour le sénateur, en l'état, une adoption du texte avant la fin de la présidence irlandaise de l'UE, en juin 2013, paraît "illusoire". Il insiste sur le bien-fondé d'un renforcement des contrôles. Une proposition de résolution en ce sens a été adoptée par la commission des Affaires européennes du Sénat.