"La Banque Publique d’Investissement (BPI) sera un outil de croissance offensif au service des PME et des Etablissements de Taille Intermédiaire". C'était il y a deux ans jour pour jour. Le 17 octobre 2012, Pierre Moscovici, alors ministre de l'Economie, présentait le projet de loi de création de la BPI, l'une des promesses phares du candidat François Hollande. Deux mois après, la banque publique voyait officiellement le jour, et suscitait déjà bon nombre d'inquiétudes.
A-t-elle assez de moyens, au regard des finances désastreuse de l’État ? N'y a-t-il pas un risque d'ingérence de l’État dans les comptes des entreprises ? Dilapidera-t-elle l'argent public en aidant des entreprises mal en point, que les banques n'ont pas voulu aider ? Deux ans après sa présentation, Europe1 a cherché à savoir si la BPI a su répondre aux doutes.
A-t-elle assez de moyens ? La BPI, fusion des anciens organismes d'investissement public ou de garantie de prêt OSEO, CDC Entreprises et FSI, a plusieurs missions : prêter de l'argent, garantir des prêts et entrer au capital d'entreprises. Le tout pour financer l'innovation, contribuer au développement des PME ou encore empêcher qu'une entreprise stratégique française ne mette la clé sous la porte. En clair, BpiFrance, de son vrai nom, comble les failles du marché du crédit bancaire. Une vaste tâche pour laquelle elle s'est vu allouer un budget de… 21 milliards d'euros. "Comparé aux 655 milliards d'euros du fonds souverain norvégien, ou de celui d’Abou Dhabi (490 milliards), notre BPI apparaît bien modeste", raillait d'ailleurs dans les Echos Michel Albouy, professeur senior de finance à Grenoble, en septembre dernier.
"Il faut comparer ce qui est comparable", rétorque auprès d'Europe 1 Antoine Boulay, porte-parole de BpiFrance. "Nous n'avons pas de pétrole comme la Norvège ou Abou Dhabi. Et les chiffres de ces deux pays tiennent compte des participations de l’État. Si on prend ça en compte, on peut dire que la France investit 360 milliards d'argent public", renchérit-il. Et s'il reconnaît être un peu en retard sur les Entreprises de taille intermédiaire, Antoine Boulay assure que "la BPI est le premier fonds d'investissement pour les PME en Europe".
Est-elle assez ambitieuse ? Avoir de l'argent, c'est une chose. Le dépenser, c'en est une autre. "Je ne peux pas dire que la BPI ait été trop aventureuse, elle a plutôt misé sur la prudence", regrettait, en février dernier, Jean-Paul Huchon, président PS de la région Ile-de-France et représentant des régions au conseil d'administration de Bpifrance. Mais depuis, l'établissement a mis les bouchées doubles.
Les fonds d’investissement dédiés aux PME ont ainsi pris des participations dans 57 entreprises pour 74 millions d’euros, en progression de 95% par rapport au premier semestre 2013. Dans l'innovation, notamment les start-up, la BPI a investi 86 millions d’euros dans 26 entreprises, soit un boom de 161%. Et dans les grandes entreprises et Entreprises de taille intermédiaire (ETI), la banque publique est montée au capital de 15 sociétés au premier semestre, pour 293 millions d’euros (+14%). Conclusion : "le risque de frilosité a disparu", reconnait aujourd'hui Jean-Paul Huchon, auprès d'Europe1.
Toutes les régions sont-elles au même niveau ? Mais toutes les régions sont-elles aidées de la même manière ? Pas si sûr. "La BPI pourrait être un peu plus courageuse en Alsace", estime par exemple Philippe Richert, président UMP de la région, pour qui les agents de la BPI ont encore "un problème d'attitude". "Ils ont un peu tendance à faire leur démarche en solitaire. Les décisions sont centralisées à Paris. Je suis président du conseil d'orientation de la BPI en Alsace, mais cette instance, censée donner la parole à la région, est vide de sens. C'est juste pour amuser la galerie", regrette Philippe Richer. Avant de nuancer : "ça ne se passe pas mal non plus. Au bout d'un moment, ils se rendent compte qu'on est là et qu'on a l'expérience, que la région accompagne déjà plus de 1.000 entreprises. C'est juste une perte de temps".
Jean-Paul Huchon reconnaît également que certaines régions sont privilégiées, surtout la sienne. "Nous sommes un partenaire permanent de la BPI. Un tiers de ses activités se fait en Île-de-France. En même temps, nous représentons 30% du PIB français". Pour l'élu socialiste, "toutes les régions n'ont peut-être pas su bâtir les mêmes liens avec les prédécesseurs de la BPI (Oseo, FSI etc). L'Aquitaine, le Nord-Pas-de-Calais ou le Rhône-Alpes ont su s'équiper des bons services. Je ne suis pas sûr que les autres aient toutes aussi bien réussi".
Le politique a-t-il trop de pouvoir ? Du côté de la BPI, on assure que toutes les régions sont traitées avec le même intérêt. Mais on assume également vouloir rester indépendant des élus. "Nous les écoutons, mais ils n'ont aucune influence sur la décision définitive", explique Antoine Boulay. Et pour cause : l'ingérence du politique dans les affaires des entreprises était l'une des principales inquiétudes liées à la BPI. Elle est encore, d'ailleurs, régulièrement ravivée par les ultralibéraux. "Il s'agit bien d'une nouvelle forme, plus pernicieuse, de nationalisation : […] l'Etat s'immisce au capital d'une myriade de petites entreprises et des acteurs qui les financent. Ainsi, rien ne lui échappe", critiquait récemment Gaspard Koenig, président de Génération libre, dans une tribune dans les Echos.
"Les politiques, l’État et les présidents de régions, nous donnent seulement le menu : il faut investir dans l'écologie, l'industrie etc. Mais ils ne sont pas aux fourneaux", théorise Antoine Boulay. "Les entrepreneurs sont d'ailleurs nos meilleurs avocats. Des entreprises comme Sarenza, Withings, nous accueillent à leur capital. La fine fleur des entrepreneurs vient nous voir", renchérit-il.
La BPI ne peut d'ailleurs pas être majoritaire au capital d'une entreprise, sauf dans les entreprises dites "stratégiques" (énergie, transport, Défense etc.). En clair, il n'y a aucun risque de "nationalisation". En outre, des représentants du privé - le président de la CGPME, le dirigeant du CIC ou celui du Crédit mutuel de l'Est par exemple - siègent dans les instances de gouvernance de la banque publique.
Pour preuve de l'indépendance de BpiFrance, Antoine Boulay donne d'ailleurs les exemples de Petroplus et de la SNCM. La socialiste Ségolène Royal, qui fut vice-présidente de la BPI jusqu'à son entrée au gouvernement, en avril dernier, a longtemps milité pour que la BPI entre au capital de ces deux entreprises en difficulté. Trop risqué, lui a répondu son président, Nicolas Dufourq. Et la BPI ne leur a pas donné un centime. "L'opposition avec Mme Royal a eu au moins un mérite : montrer aux entrepreneurs que M. Dufourcq est un homme à poigne, qui ne cède pas aux politiques", confie à Europe1 un observateur au fait de ces dossiers.
La BPI va-t-elle financer les canards boiteux ? D'autres dossiers, en revanche, continuent de poser question. L'entrée au capital d'Altia, par exemple. "Le fiasco qui embarrasse la BPI" titrait ainsi le magazine Usine nouvelle en septembre dernier. La BPI a finalisé en 2012 une entrée au capital de cet équipementier, notamment au moment où il rachetait Caddie, le célèbre fabriquant de chariots de supermarché. En 2013, Arnaud Montebourg, alors ministre, brandissait même ce montage en exemple de sauvetage industriel. Mais cet été, Altia a été placée en redressement judiciaire et la BPI pourrait perdre jusqu'à 18 millions d'euros. "Banquier en dernier ressort, la BPI risque de se retrouver avec les plus mauvais dossiers en portefeuille", tacle à ce sujet l'économiste Michel Albouy.
"Les informations qui nous ont été transmises ne correspondent pas à la réalité sur les comptes d'Altia. Nous ne sommes qu'actionnaires minoritaires, et nous n'avons pas de droit d'investigation", se justifie Antoine Boulay, le porte-parole de la banque publique. "Il y a d'autres dossiers tout aussi difficiles. On a investi dans le papetier Sequana par exemple, et là le risque est plus important que pour Altia. Mais cela ne représente qu'une toute petite part de nos investissements. Il faut rappeler qu'au final, nous gagnons de l'argent", défend-il. La BPI a en effet réalisé un peu plus de 300 millions d'euros de bénéfices au premier semestre 2014. Et en 2013, les taux de rentabilité de ses diverses branches s'échelonnaient de 2 à 4%.
N'y a-t-il pas un risque d'éparpillement ? L'un des derniers reproches que l'on pourrait faire à la BPI, c'est son large champ d'action. En investissant dans tous les secteurs, le risque est en effet qu'aucun secteur n'émerge réellement.
"La France est pleine de richesse", se défend Antoine Boulay. "En Bretagne, par exemple, vous avez l'entreprise Sermeta, leader mondial dans les échangeurs thermiques de chaudière. La boîte marchait très bien mais leur actionnaire voulait se désengager. Sermeta voulait un fonds français pour le remplacer, un fonds qui ne s'enfuit pas au bout de quelques mois. Mais il n'y en avait pas d'assez grands pour financer seul ce type d'opération, alors on a mis 180 millions. On n'allait pas passer à côté de ça".
"Mais on se concentre tout de même sur trois domaines prometteurs", complète le porte-parole. "40% de nos investissements en capital vont dans la biotechnologie, le digital et les écotechnologies. Nous y avons mis 750 millions d'euros en 2013, et on veut augmenter ce montant de 30% en 2014. Résultat : au dernier Consumer électronic show (le plus important salon consacré à l'innovation technologique en électronique ndlr), 40 start-up sur 200 étaient françaises !"
Sur ce point, la BPI a récemment été confortée par une étude du cabinet d'analyse Ernst&Young, qui classe la France deuxième en Europe en termes de financement de l'innovation. La France se situe ainsi juste derrière le Royaume-Uni et devant l'Allemagne.
Pour répondre à tous ces doutes, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, avait annoncé en octobre 2013 la création prochaine d'une mission d'évaluation de la BPI. Selon nos informations, elle devrait être lancée fin octobre ou début novembre, et conduite par le député socialiste de la Côte-d'Or, Laurent Grandguillaume.