Le MuCEM de Marseille, une réussite au futur flou

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FINANCES - La Cour des Comptes tire la sonnette d’alarme : malgré un lancement réussi, le musée n’a pas anticipé son financement futur.

Pour contrer la mauvaise réputation qui lui colle à la peau, la ville de Marseille avait décidé de profiter de son titre de Capitale européenne de la culture en 2013 pour redorer son blason. Un lieu symbolise particulièrement ce changement d’image : le MuCEM, le Musée des civilisations de l'Europe et de Méditerranée, installé sur le front de mer. Signe de sa réussite, ce bâtiment est déjà devenu emblématique de la cité phocéenne. Sauf que pour la Cour des Comptes, le rêve pourrait rapidement virer au cauchemar financier : dans son rapport annuel, l’institution pointe une genèse aussi compliquée que coûteuse et s’inquiète de son avenir, compromis par un financement jugé insuffisant. Le MuCEM risque-t-il de devenir un fardeau financier ?

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Le MuCEM, un succès populaire et architectural. Si la Cour des comptes a l’habitude de décerner les mauvais points, son rapport sur le musée marseillais débute par un satisfecit plutôt inhabituel. "L’accueil positif de la critique et l’engouement du public dès son ouverture (3,4 millions de visiteurs entre juin 2013 et septembre 2014) attestent que le MuCEM a incontestablement remporté son pari de doter Marseille d’un bâtiment culturel emblématique", souligne le document.

De prime abord, le bâtiment conçu par l’architecte Rudy Ricciotti est donc une réussite et un symbole de la rénovation du quartier de la Joliette. Mais "ce succès ne saurait toutefois dissimuler les multiples vicissitudes qui ont émaillé la conduite de ce projet", rappelle la Cour des Comptes, avant de s’inquiéter pour son avenir, menacé par un "problème de soutenabilité financière" et un positionnement culturel qui manque de clarté.

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Mais qui risque d’être rattrapé par la réalité financière. Construire un musée, c’est bien, anticiper son budget, c’est mieux. Or, c’est précisément ce que reproche la Cour des comptes, qui pointe une mauvaise évaluation des coûts de fonctionnement. "Les conventions passées à partir de 2006 entre le ministère et l’OPPIC ne comprenaient pas de chiffrage du coût de fonctionnement des différentes composantes du musée en ordre de marche, signe d’un défaut de gestion prévisionnelle des deniers publics", souligne le rapport.

Un amateurisme d’autant plus inquiétant que le bâtiment, qui dispose de nombreux points d’entrées et d’innovations techniques, va coûter cher en termes de sécurité et d’entretien. Mais, là aussi, "les charges sont pour l’heure mal évaluées", d’autant plus que certains contrats de maintenance n’ont toujours pas été signés.

Non seulement le MuCEM risque de coûter plus cher que prévu, mais ses recettes sont par-dessus le marché jugées incertaines. Car si la fréquentation est actuellement au rendez-vous, c’est en grande partie grâce à l’effet de nouveauté. Sauf que les recettes de billetterie venaient à baisser, le MuCEM risquerait rapidement d’être en déficit. Et l’autre source de financement, le mécénat, n’est pas à la hauteur des espérances, souligne la Cour des comptes. Bref, l’avenir est incertain, d’autant que si les Marseillais aiment visiter le lieu pour se balader, ils boudent les expositions qui sont, elles, payantes. Aux yeux de la Cour des Comptes, le MuCEM doit donc mieux anticiper ses coûts de fonctionnement, se fixer des objectifs de fréquentations et trouver de l’argent auprès des mécènes et des collectivités territoriales.

Et son lancement ne fut pas un long fleuve tranquille. Critiqué pour son manque d’anticipation, le MuCEM et le ministère de la Culture ont pourtant eu le temps de voir venir. Le bâtiment a été livré avec 60 mois de retard et il a en effet fallu 13 ans entre la décision de décentraliser l’ancêtre parisien du MuCEM, le Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), et l’ouverture du nouveau bâtiment.

Malgré cette longue gestation, plusieurs dossiers n’ont pas été anticipés. L’ancien bâtiment, qui abritait le MNATP, a été "laissé dans un état de quasi-abandon depuis de nombreuses années". Et ses équipes ont longtemps été maintenues à Paris alors que leur "activité était des plus réduites", pour un surcoût de 23,8 millions d’euros.

Les coûts ont donc explosé : "entre le devis initial du projet redéfini en 2009 et le prix final estimé, le coût des travaux a augmenté (...) de près de 82%, passant de 88,1 à 160,2 M EUR", a calculé la Cour, remarquant toutefois qu'une "part substantielle de cette augmentation est imputable" à la suspension du projet entre 2002 et 2009.

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© ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP

Un musée qui doit encore trouver sa vocation. Plus embarrassant encore, la mission même du MuCEM n’a pas été prévu à l’avance. Le lancement de ce musée "n'a pas été précédé ni accompagné d'une réflexion approfondie" du ministère de la Culture "sur le sens et la place des musées de société dans la politique culturelle de l'Etat", constate la Cour, qui relève "des objectifs qui se recoupent" avec d'autres institutions existantes (musée du Quai Branly, Cité nationale de l'histoire de l'immigration...).

En clair, le musée a un positionnement ambigu, alternant entre focalisation sur l’histoire du bassin méditerranéen et mise en valeur des œuvres laissées par son ancêtre, le MNATP, qui n’ont pas toujours grand-chose à voir avec les civilisations méditerranéennes.

Le ministère de la Culture et le MuCEM ont donc encore du travail, même si ce sombre constat de la Cour des Comptes doit néanmoins être relativisé : devenu un symbole architecturale de la ville, le musée attire de nouveaux touristes et accueille visuellement les croisiéristes, la nouvelle priorité de la cité phocéenne. Une manne financière qui ne bénéficie pas toujours au musée mais très certainement à la ville. A titre de comparaison, le jour où la Cour des comptes se penchera sur le bâtiment voisin du MuCEM, la villa méditerrannée, son verdict risque d'être encore plus sévère.

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