Est-ce une guerre des ferries que vont se livrer l'autorité de la concurrence française et son homologue britannique ? Celle-ci vient en effet d'interdire aux navires français de My Ferry Link de desservir le port de Douvres, dans le sud-est de l'Angleterre. Une décision qui pourrait porter un coup fatal à la jeune compagnie née des cendres de Seafrance.
Retour sur la genèse de My Ferry Link : en juin, les salariés de la compagnie SeaFrance placée en liquidation judiciaire forment une coopérative ouvrière (Scop) en partenariat avec l'exploitant du tunnel sous la Manche Eurotunnel. Objectif : poursuivre les liaisons entre Calais et Douvres sous une nouvelle bannière, My Ferry Link. Les trois bateaux de SeaFrance, le Rodin, le Berlioz et le Nord-Pas de Calais reprennent ainsi la mer en août 2012.
"Pas bon pour la concurrence". Mais un an plus tard, la Commission de la concurrence britannique décide qu'Eurotunnel pèse trop lourd sur le trafic transmanche. "Il ne peut pas être bon pour la concurrence qu'Eurotunnel, qui détient déjà une part de marché de plus de 40% (sur les liaisons transmanche), étende son activité aux ferries", a estimé jeudi le président du groupe d'enquête, Alasdair Smith. Le risque est que l'opérateur en profite pour augmenter les prix, ajoute-t-il.
La sanction est donc tombée côté britannique : Eurotunnel, actionnaire principal de My Ferry Link, sera interdit de service maritime au port de Douvres pendant deux ans avec n'importe quel bateau et pendant dix ans avec les "Berlioz" et "Rodin", les deux plus gros navires parmi les trois qu'il possède. A moins que l'opérateur décide de vendre ces deux bateaux, précise la Commission de la concurrence britannique.
Celle-ci avance un deuxième argument : Eurotunnel a racheté les navires de SeaFrance pour éviter un partenariat entre la compagnie danoise DFDS et LD, filiale du français Louis Dreyfus Armateurs, qui aurait repris la flotte à bas prix et aurait ainsi pu faire baisser les prix pour les passagers. Ce que dément fermement le PDG d'Eurotunnel Jacques Gounon: "DFDS avait fait une proposition sur un seul navire, ils ne voulaient pas reprendre tout SeaFrance", rappelle-t-il.
"On commence vraiment à déranger". Du côté des salariés de My Ferry Link rencontrés par Europe 1, c'est la consternation. "Je pense qu'on commence vraiment à déranger", estime Mathias qui précise que les navires représentent 6% du trafic passagers et 9% du fret. "Au début, on nous avait dit 'vous tiendrez 15 jours' et ça fait un an qu'on est là. (…) On a tout fait pour que ça fonctionne et là, on s'aperçoit que les Anglais dirigent ce qui se passe en France. C'est lamentable, dégueulasse."
Cédric s'est, lui aussi, battu pour faire renaître SeaFrance. Et il ne veut pas revivre une nouvelle liquidation. "Il y a quand même 500 emplois, des personnes qui ont été laissées sur le carreau et qui ont recréé une entreprise, l'ont développée", rappelle-t-il. "Et le schéma recommencerait ? C'est dur à avaler. Il faut défendre tout ça, il n'y a pas de raison que ça s'arrête"
La direction de My Ferry Link est d'ailleurs bien déterminée à poursuivre l'activité. "Les bateaux ne resteront pas à quai", assure le directeur général adjoint Raphaël Doutrebente au micro d'Europe 1. "Et si on nous oblige à les y mettre, je peux vous dire que le port de Calais sera bloqué, et c'est nous qui le bloqueront." My Ferry Link a toutefois indiqué être déjà à la recherche de "solutions financières", au cas où Eurotunnel devrait se retirer.
Un décision "incompréhensible". De son côté, Eurotunnel a fait appel de la décision de l'autorité britannique qu'il juge "incompréhensible, et gravement disproportionnée". Le groupe rappelle que l'Autorité de la concurrence française avait, au contraire, estimé que le rachat des trois navires de SeaFrance ne posait pas de problèmes concurrentiels pour le transport de passagers, mais avait posé des conditions pour le fret. Le tunnel sous la Manche ne capte "que 40% de part de marché pour le trafic de camions. Même si vous ajoutez les activités de MyFerryLink, ce qui n'a pas de raison d'être, on arrive à 49%, ça laisse quand même 51% au maritime", estime Jacques Gounon, le PDG d'Eurotunnel.
La direction de MyFerryLink compte surtout un règlement à l'amiable au niveau des gouvernements français et britanniques. Le ministère français des Transports a, en effet, indiqué son intention de "se rapprocher des autorités britanniques pour examiner les possibilités d'une procédure commune d'arbitrage entre les décisions des deux autorités de la concurrence". D'ici là, la Commission britannique doit décider si l'appel d'Eurotunnel a un caractère suspensif, ce qui permettrait à My Ferry Link de poursuivre ses activités pendant les 6 mois que devrait durer la procédure.