Arnaud Montebourg le martèle : il n'est pas là pour faire des châteaux de sable. Face aux vagues de plans sociaux, le ministre creuse une "politique d'endiguement". Et ses digues auraient protégé, entre mai 2012 et aujourd'hui, 178.000 emplois. "Nous sommes à environ 192.000 emplois qui étaient menacés et environ 178.000 préservés", trompétait l'ex-ministre du Redressement productif devenu capitaine de l'Economie, lundi, dans un discours à la Maison de la Chimie, à Paris.
Mais que se cache-t-il derrière ces chiffres? Difficile de savoir. Le ministre a beau brandir quelques exemples (l'usine d'aluminium de St-Jean-de-Maurienne, en Savoie, Kem One ou encore FagorBrandt), le voile qui recouvre les autres digues est opaque. Et Arnaud Montebourg ne prend pas beaucoup de risques en se glorifiant d'avoir construit un édifice que personne ne peut voir.
>> Pourquoi ne pourra-t-on pas vérifier ces chiffres ? Explications.
Les entreprises "menacées" ne sont pas forcément suivies. Ce que nous dit, dans un premier temps, le ministre, c'est qu'il y avait "192.000 emplois menacés" ces dernières années. Mais quelles sont les entreprises dont il parle exactement ? Selon le cabinet du ministre, contacté par Europe1.fr, le chiffre recense toutes les entreprises qui ont fait une demande d'accompagnement auprès des commissaires au Redressement productif, du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et du ministère lui-même.
Or, toutes les entreprises en difficulté ne sont pas forcément accompagnées par l’État. "Elles ne veulent pas forcément que l’État les fiche comme 'entreprise en difficulté'. De plus, il est possible que le ministère sélectionne quelques dossiers typiques, en fonction des réseaux d'influence de l'entreprise. La grande faiblesse de ces chiffres, c'est qu'ils sont impossibles à vérifier", estime ainsi Jean-Marc Daniel, économiste à l'Institut des entreprises.
Le nom des entreprises n'est pas connu. En effet, il est impossible de vérifier combien d'entreprises sont concernées au total. Car le ministère ne communique pas les noms des entreprises "menacées", sauf si celles-ci le souhaitent. Il s'agit de ne pas "stigmatiser" et "fragiliser" ces entreprises en rendant publiques leurs difficultés, nous dit-on au cabinet d'Arnaud Montebourg.
L'action de l’État n'est pas mesurable. Et puisqu'il est impossible de savoir de quelles entreprises il s'agit, il est difficile de vérifier si elles étaient vraiment "menacées" ou non. Et c'est là tout le problème. "Comment savoir si l'action d'Arnaud Montebourg a été décisive ? Les entreprises peuvent demander l'aide de l'Etat simplement pour se faciliter le travail, pour négocier des crédits ou avec des partenaires par exemple. Mais cela ne veut pas dire que les emplois auraient été détruits sans intervention publique", décrypte Jean-Marc Daniel.
"Ces chiffres ne peuvent pas tenir sur le plan statistique. Et ils semblent surestimés : 178.000 emplois, c'est beaucoup. Ils semblent inclure des emplois non-menacés", poursuit Sarah Guillou, de l'OFCE. De plus, "sauver des emplois n'assure aucunement de leur viabilité. Aider une entreprise qui met la clé sous la porte deux ans plus tard, c'est parfois du gaspillage de l'argent public", renchérit l'économiste.
En clair, pour vérifier la résistance de la digue tant contée par Arnaud Montebourg, encore faut-il savoir où elle a été construite, si ce qu'il y a derrière était vraiment menacé par les flots du chômage, et si la digue tiendra d'une année sur l'autre.