Le gouvernement convie mercredi à l’Elysée les organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, etc.) et patronales (Medef, CGPME, etc.) pour un sommet social, entretemps rebaptisé "sommet de crise", probablement le dernier du quinquennat. Chômage partiel et TVA sociale sont au programme, mais ce sommet social débouchera-t-il sur quelque chose ? Pour tenter d’y répondre, Europe1.fr a questionné plusieurs spécialistes et comparé les précédents sommets.
Le symbole ultime de la négociation sociale
Ces sommets sont une tradition française qui renvoie directement à deux épisodes majeurs de l’histoire sociale de la France : les accords de Matignon en 1936 et les accords de Grenelle, en 1968.
En annonçant lors de ses vœux 2012 un sommet pour le 18 janvier, Nicolas Sarkozy avait donc en tête l'organisation d'un évènement très symbolique et néanmoins ambitieux car le principe de ces réunions tripartites est simple : le gouvernement convie les organisations syndicales et patronales pour mettre au point une réforme d’ampleur.
Politiques et syndicats n’ont pas le même calendrier
"Le sommet social est normalement l’aboutissement d’une longue négociation", décrypte Jean-Claude Ducatte, directeur d’Epsi, spécialiste en conseil de stratégie sociale. Or, "cette fois-ci, il sert à poser des sujets et lancer les débats". Car outre le chômage partiel et la TVA sociale, Nicolas Sarkozy souhaite aussi parler temps de travail et compétitivité. Le programme est donc chargé pour un rendez-vous annoncé moins de trois semaines auparavant.
Il y a donc un problème de calendrier qui risque d’hypothéquer toute réforme concertée, "la preuve, c’est que les syndicats y vont à reculons, ils ne savent pas de quoi ils vont parler", ajoute Jean-Claude Ducatte, avant de rappeler que "le temps de la négociation n’est pas celui du politique".
Les sommets se multiplient, l’efficacité baisse
Preuve de cet écart entre le gouvernement et les CGT, CFDT ou FO, les sommets se sont multipliés sous le quinquennat Sarkozy. "Assises", "Grenelle", "sommet social" : les rendez-vous se sont enchainés jusqu’à la dernière réforme des retraites, qui a constitué une fracture en février 2010.
"Ces sommets étaient assez fructueux dans un premier temps, contribuant à la nouvelle loi sur la représentativité syndicale ou à un début de flexi-sécurité à la française", détaille Dominique Andolfatto, enseignant et auteur de Histoire des syndicats.
Les sommets restent, le dialogue s’estompe
Mais leur répétition en a amoindri la portée, d’autant que les derniers sommets ont fait office de chambre d’enregistrement pour des projets que le gouvernement avait déjà préparés. Le sommet sur le grand emprunt, en juillet 2009, n’a pas satisfait les syndicats mais c’est surtout le sommet sur "l’agenda social 2010", en février 2010, qui constitue une rupture. Jean-Claude Mailly, chef de file de FO, exprime alors "un vrai sentiment de colère" et accuse le gouvernement d'avoir "plombé" pour longtemps le dialogue social.
"Regardez les retraites : le gouvernement sait ce que les gens pensent mais il n’y a pas eu de négociation : le programme du gouvernement n’a pas changé d’un iota", décrypte François Lafon, maître de conférence à Paris 1, spécialiste de l’histoire du syndicalisme. Et ce dernier d'ajouter : "le dialogue social s’est raidi si on compare avec l’Allemagne, d’autant que le climat social renforce les difficultés".
Depuis, le dialogue patine. "Les syndicats sont dans une situation impossible : sous Sarkozy, ils ne sont pas une seule fois ressortis gagnants. Ils n’ont donc pas envie de négocier mais y sont obligés", renchérit Jean-Claude Ducatte, expert du cabinet Epsy.
"Une opération de communication politique"
Mais, de l’avis de tous, la négociation n’est pas le plus important pour le sommet de mercredi. L'universitaire François Lafon y voit "une opération de communication politique". L'historien Dominique Andolfatto renchérit : "il y a de l'affichage politique et les syndicats ont peur de se faire instrumentaliser". Et Jean-Claude Ducatte de conclure : "les syndicats vont dire qu’ils ne sont pas contents et le gouvernement va dénoncer cet immobilisme. Ce dernier pourra donc reprendre la main tout en rappelant qu’il leur avait donné voix au chapitre".
Ainsi la CGT dénonce un "sommet antisocial", tandis que la CFDT "espère que cette dégradation de la France ne va pas encourager le gouvernement à faire un troisième plan de rigueur". Ce sommet risque de ne pas être un modèle de dialogue, à moins que le contexte de crise ne force les participants à faire chacun un pas en direction de l’autre. "En période de crise, sous la pression des évènements, ces sommets aboutissent à des avancées, comme ce fut le cas en 1936 ou en 1968", rappelle François Lafon.