"C'est une révolution qui concernera tout le monde." Le député PS François Brottes ne cache pas ses ambitions, lorsqu'il fait la promo de sa proposition de loi sur la "tarification progressive" de l'énergie. Le texte va être déposé mercredi au Parlement.
Lundi, le gouvernement a confirmé qu'il serait inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire, qui débute le 11 septembre. Et son adoption définitive devrait intervenir en octobre.
"L'objectif, c'est des économies d'énergie, c'est de responsabiliser les gens par rapport à leur consommation, et c'est aussi que la facture soit moins élevée quand on se chauffe raisonnablement", fait valoir François Brottes, également président de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Mais cette "révolution" est-elle possible? Décryptage.
Pénaliser les gaspilleurs
Comment ça va marcher? Le texte fait écho à une promesse de campagne de François Hollande. Le principe, évoqué à nouveau par Jean-Marc Ayrault en juillet : plus on consomme, plus on paye.
Trois tarifs devraient voir le jour. Un tarif à faible coût pour les foyers modestes afin de faire fonctionner le minimum vital : brancher un réfrigérateur, s'éclairer, se chauffer, prendre une douche. Un tarif moyen, pour l'utile, comme les doubles plaques de cuisson pour une grande famille, par exemple. Et un tarif très élevé pour ce qui relève exclusivement du confort, comme le remplissage d'une piscine, ou le fonctionnement d'un climatiseur.
En pratique, le système fonctionnera un peu comme un bonus-malus, selon la ministre de l’Écologie et de l’Énergie Delphine Batho. "Passé un certain forfait de nécessité pour s'éclairer, pour se chauffer, plus on consomme, plus on paye", a-t-elle expliqué la semaine dernière.
Le périmètre d'application dans l'énergie sera limité, dans un premier temps, aux énergies dites "de réseau", à savoir l'électricité et le gaz naturel, a précisé François Brottes. Mais le texte ouvrira la voie à des mesures ultérieures pour les énergies dites "hors réseau" (à savoir le fioul, le GPL le bois de chauffage), qui ne bénéficient pas de tarifs sociaux.
Le système a-t-il déjà existé en France? La tarification progressive a déjà été appliquée ces dernières années pour l'eau dans une poignée de villes ou d'agglomérations, notamment à Bordeaux, Arras ou Libourne. Dans cette dernière par exemple, les habitants bénéficient de 15m3 d'eau par personne et par an. S'ils dépassent ce seuil, le prix de l'eau devient plus cher, jusqu'à huit fois plus élevé pour les mauvais élèves.
"Ceux qui sont pénalisés, ce sont les gros consommateurs. Ceux qui arrosent leur jardin l'été, ceux qui remplissent leur piscine, qui nettoient leur voiture, ce sont ceux qui ne font pas attention à leurs ressources. C'est ça l'idée, c'est naturel que le prix de l'eau pour remplir sa piscine soit plus coûteux que le prix de l'eau pour se laver", avait justifié le maire de la ville Philippe Buisson, en janvier, au micro d'Europe1.
Quand doit-il être appliqué ? Le passage à la tarification progressive doit avoir lieu d'ici fin 2013, début 2014, et sera précédée d'une extension des tarifs sociaux à 4 millions de foyers.
"Le modèle français reste à construire"
Est-ce vraiment efficace? Dans l'énergie, ce système est plus complexe à mettre en œuvre car une facturation par paliers pourrait produire des effets contraires à l'objectif recherché. En effet, les ménages qui consomment le plus d'énergie sont parfois les plus précaires, parce qu'ils habitent des logements vétustes et énergivores et n'ont pas les moyens de faire des travaux d'isolation ou de s'équiper de chaudières et de radiateurs plus économes par exemple.
Pour le député François Brottes, à l'origine de la proposition de loi, il faut tenir compte de nombreux critères, comme le nombre d'occupants d'un logement, le mode de chauffage, la situation géographique et la qualité de l'isolation thermique. Ainsi, celui qui paiera n'est pas nécessairement celui qui consommera le plus, mais celui qui consommera pour de bonnes raisons. Pour cela, il pourrait être nécessaire de faire du cas par cas en demandant aux ménages de déclarer l’état de leur logement afin de les situer sur une échelle de consommation de base.
Mais selon de nombreux observateurs, la tarification progressive n'a pas de sens sans projet plus global, tant les critères sont difficiles à définir pour chaque ménage. "Pour faire face à cette problématique de la précarité des logements, il serait nécessaire d’allier les tarifs progressifs à une politique forte de rénovation des bâtiments et des modes de chauffage pour réaliser des investissements durables et ne pas pénaliser les ménages précaires. Le modèle français reste donc à construire", estime par exemple sur son blog le cabinet de conseil spécialisé Capgemini Consulting.
S'inspirer du Japon et de la Californie?
Comment évaluer la consommation de chaque ménage? Il faut dire que la mise en œuvre de cette réforme s'annonce complexe, ne serait-ce que parce que tous les logements ne sont pas équipés de compteurs individuels. Selon les spécialistes, il existe toutefois des compteurs dits "intelligents", permettant d'affiner la facturation de chaque foyer. Reste à les généraliser pour chaque ménage, avec le coût d'installation que cela implique…
De plus, on ne sait pas encore qui vérifiera les critères. Actuellement, ce sont les Caisses d'allocations familiales qui gèrent l'attribution des tarifs sociaux de l'électricité et du gaz, en lien avec les fournisseurs. Ces derniers se sont dits prêts à jouer le jeu de cette réforme.
Le système a-t-il fait ses preuves dans d'autres pays? Selon Capgemini Consulting, les seuls exemples comparables se trouvent au Japon et en Californie.
Au Japon, les ménages payent un tarif fixe auquel s’ajoute tous les mois un montant variable en fonction de la demande nationale d’énergie et de la part d’énergie solaire et de fioul dans la production d’électricité du pays. De plus, une tarification différente est appliquée selon le niveau de consommation des ménages. Au-delà de 300kWh consommés par mois, le prix de l’électricité est 35% plus élevé que pour la première tranche, qui se situe en dessous de 120kWh.
En Californie, un seuil de référence est défini chaque jour selon la température, ou s'il s'agit d'un jour ouvrable ou non. Ceux qui consomment 300% de cette référence paient trois fois plus cher que ceux qui consomment peu.