Depuis lundi, Arnaud Montebourg n’est plus ministre. Poussé vers la sortie pour avoir multiplié les sorties médiatiques et publiquement critiqué les orientations du gouvernement, il a décidé de "reprendre sa liberté". Les Français n'oublieront pas l'homme en marinière plein de verve. Mais quel bilan dresser de celui qui a été ministre du Redressement productif et de l’Economie ?
>> Europe1.fr a posé la question à Guillaume Duval, rédacteur en chef du magazine Alternatives Economiques, et à Nicolas Barré, rédacteur en chef du quotidien Les Echos.
Le postulat de base : un ministre chargé d’une mission impossible. Hériter du ministère de l’Industrie en pleine crise n’était pas chose aisée. Le rebaptiser "ministère du Redressement productif" l’était encore mois. Ce que ne manque pas de souligner Nicolas Barré : "Arnaud Montebourg n’a pas réussi le redressement productif dans le sens où la désindustrialisation de la France a continué pendant la période où il était ministre. L’industrie française a continué de perdre de l’emploi et le nombre d’usines qui ferment chaque année, entre 250 et 300, est resté au même niveau. Son discours n’a pas produit les effets escomptés. Ce n’est pas exclusivement sa faute mais le bilan de ce point de vue là est assez décevant". Et ce dernier de citer les dossiers Arcelor Mittal, l’usine PSA à Aulnay-sous-Bois, le démantèlement d’Alstom, etc.
"Dans le contexte actuel, on ne peut pas lui reprocher ces échecs", nuance Guillaume Duval. "Il y a beaucoup de cas qui étaient assez désespérés ou en situation très difficile. Il a fait ce qu’il a pu mais assez souvent il ne pouvait pas grand-chose. Petroplus, Goodyear étaient des dossiers très mal barrés depuis longtemps".
Sa réussite : replacer l’industrie au cœur du débat. A l’inverse, on peut souligner le sauvetage réussi du chimiste Kem One, du site Rio Tinto à Saint-Jean de Maurienne ou encore la reprise de Fagor Brandt. Mais l’essentiel est ailleurs pour Guillaume Duval : "l’action d’Arnaud Montebourg a été utile psychologiquement pour remettre les questions d’industrie dans les préoccupations des Français et y associer des choses positives".
Sans oublier "le travail d’agitation qu’il a fait autour des inventions françaises en organisant à Bercy les Objets de la nouvelle France industrielle. C’est utile et intéressant pour sensibiliser le grand public à ce que les industriels français savent faire", complète Guillaume Duval. Quitte à incarner lui-même les réussites du Made in France, vêtu d’une marinière.
Sa méthode : une communication débridée à double tranchant. Avocat de formation, Arnaud Montebourg a réussi à s’imposer dans les médias à coup de formules choc. Et s'est retrouvé accusé d'en faire parfois un peu trop. "Le personnage a pu donner l’impression à plusieurs reprises qu’il brassait un peu de vent sans être très efficace. Il donne souvent l’impression de vouloir se mettre en avant et de s’engager très avant sur des dossiers sans être sur que ça puisse suivre derrière", estime Guillaume Duval.
Mais, au moins, Arnaud Montebourg a réussi à faire parler de ses sujets. "Sur tous les grands dossiers on l’a entendu, il est monté au créneau, il a essayé de faire valoir son point de vue mais il a plutôt échoué", estime Nicolas Barré, avant de citer "tout le discours sur la relance de l’industrie, le made in France, l’euro fort, autant de dossiers qui sont importants".
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Le risque : devenir un épouvantail pour l’étranger. A force de déclarations polémiques, Arnaud Montebourg a même réussi à se faire entendre de l’étranger. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose pour le rédacteur en chef de Echos : "il a donné à l’étranger l’image très négative de la France, d’une France protectionniste, tournée sur elle-même, refusant les investisseurs étrangers. Je suis frappé par le nombre d’articles dans les grands journaux d’affaires étrangers à la suite de prise de position très agressives d’Arnaud Montebourg. Or, la France, comme tous les grands pays industriels, a besoin de ces investisseurs étrangers, on ne peut pas vivre en circuit fermé".
"Cela a pu contribuer à donner l’idée, qui préexistait à son arrivée à ce ministère, d’une France très étatiste", nuance le rédacteur en chef d’Alternatives Economiques, "mais il ne faut pas surestimer cet impact à l’étranger : cela n’a pas empêché General Electric de vouloir continuer à faire des affaires en France. Je crois que les gens, y compris à l’étranger, sont capables de faire la part des choses entre un discours à usage interne et la réalité de l’action du gouvernement".
Son héritage : faire savoir que l’Etat est de retour. Quelle que soit la perception des sorties d’Arnaud Montebourg, en France et à l’étranger, ses auditeurs ont bien reçu le message : l’Etat est de retour dans les affaires économiques. "Après une longue période durant laquelle on s’était habitué à un retrait de l’Etat, il a réinstallé cette idée qu’il pouvait y avoir une intervention publique dans le domaine industriel. Je trouve qu’il l’a fait de manière relativement raisonnable et ciblée. Le bilan est plutôt positif dans la mesure où il n’y a pas eu d’interventionnisme excessif, tout en revenant sur le dogme - qui paraissait tout aussi excessif- de dire que l’Etat n’a pas à intervenir quand de gros industriels sont menacés d’être repris ou de disparaitre", juge Guillaume Duval.
Bien qu’il ne soit pas partisan d’un tel interventionnisme, Nicolas Barré confirme aussi qu’Arnaud Montebourg a replacé l’Etat au centre du jeu. Mais lui préfère l’Etat stratège qui agit avec parcimonie et vante plutôt les 34 plans de la Nouvelle France industrielle, des pôles de compétitivité alliant public et privé sur un projet précis. "Cela fait partie des choses positives qu’Arnaud Montebourg a lancé car cela fait partie du rôle de la puissance publique de stimuler certaines filières pour lesquelles on se dit qu’on a des atouts. Donc il faut choisir quelques grands secteurs dans lesquels on est bon et mettre le paquet. Les pays qui réussissent sur le plan industriel, je pense à la Corée du Sud, ont fait pareil : choisir quelques secteurs".
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Le bilan : mi-positif, mi-Don Quichotte ? Au final, que retiendra-t-on d’Arnaud Montebourg ministre de l’Industrie ? "Son volontarisme, son appel au Made in France. On retiendra qu’il a posé le débat sur le niveau de l’euro, qui est un vrai sujet pour l’industrie française qui souffre d’un euro trop fort. Mais, dans les faits, il y un côté un peu Don quichotte : du volontarisme qui n’aboutit pas forcément sur des résultats", résume Nicolas Barré.e
Guillaume Duval parle lui aussi d’un "personnage qui en fait toujours trop mais la réalité de son action, même si elle a été limitée, a été positive". Et ce dernier de conclure : "au-delà des anecdotes, on retiendra la volonté de retour d’une intervention publique, la volonté de la France de reconquérir une place dans le domaine industriel. Même si cela n’a pas eu le temps de produire des effets".
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