Le rapport. L’État laisse trop de champ libre aux sociétés autoroutières, dénonce la Cour des comptes. Les sages de la rue Cambon ont publié mercredi un rapport sur la relation entre pouvoirs publics et concessionnaires. Et selon eux, l’État ne pèse pas assez, ce qui se ressent sur les prix des péages. Un document qui apparaît comme un sévère bilan de la privatisation des autoroutes, mise en œuvre en 2006.
Le verdict général. Les relations entre l’État et les sept sociétés, filiales de trois grands groupes privés, Vinci Autoroutes, APRR (Eiffage et Area) et Sanef (Sanef et SAPN), qui gèrent les trois quarts du réseau autoroutier sont aujourd'hui fixées par des contrats de concessions. Ces contrats peuvent évoluer à tout moment, si les sociétés autoroutières veulent augmenter leurs péages ou si l’État veut demander des investissements ou imposer des contraintes environnementales par exemple. La négociation de ces éventuelles modifications et le suivi des engagements des concessionnaires se font avec le ministère des Transports. Or les discussions "se caractérisent par un déséquilibre au bénéfice des sociétés autoroutières", tranche la Cour.
Un ministère des Transport trop influençable ? Les Sages s'inquiètent donc que les négociations et le suivi des obligations ne relève que du ministère des Transports. Et craignent qu'il ne se laisse influencer. Le rapport déplore ainsi que "le ministère de l’Économie et des Finances n'y soit pas associé alors que l’État doit traiter avec des sociétés puissantes, adossées à de grands groupes, de BTP en particulier". "Dans ces conditions, la Cour constate que l'administration a des difficultés à collecter les données nécessaires auprès des concessionnaires et à exercer les contrôles qui lui incombent." Sans oublier le pantouflage, c'est à dire le passage de responsables des négociations du ministère... à un poste de responsables des négociations pour un concessionnaire.
Première conséquence : la hausse des prix. Ce déséquilibre, poursuit la Cour, se fait au détriment des usagers, qui voient leurs péages augmenter pour financer l'entretien et la modernisation des autoroutes. Pour les Sages, les contrats de plan, qui fixent l'évolution des tarifs des péages pour cinq ans, "devaient être l'exception mais sont devenus la règle et ont conduit à des augmentations tarifaires supérieures à l'inflation, contrairement à la règle originelle de la concession". La Cour regrette ainsi que les sociétés autoroutières ne puisent pas davantage dans leurs bénéfices pour financer leurs investissements. "Tout investissement est compensé par une hausse de tarifs et ne peut donc qu'aboutir à une hausse constante et continue des tarifs", s'inquiète le rapport.
Deuxième conséquence : le non respect des engagements. Autre problème, "l’État ne se montre pas assez exigeant en cas de non-respect de leurs obligations par les concessionnaires, qu'il s'agisse de préserver le patrimoine, de respecter les engagements pris dans les contrats de plan (d'investissements NDLR) ou de transmettre des données demandées" par l’État, tacle le rapport des Sages. "La Cour constate que l'administration a des difficultés à collecter les données nécessaires auprès des concessionnaires et à exercer les contrôles qui lui incombent", poursuit le rapport.
Du changement est-il à prévoir ? La Cour recommande donc de "mettre en œuvre des dispositions contraignantes" et de "réaliser systématiquement une contre-expertise de tous les coûts prévisionnels des investissements". Du côté du ministère des Transports, tout en soulignant que les relations État-concessionnaires se sont améliorées depuis 2006, on se range derrière le rapport des Sages. "Le ministère partage les constats de la Cour et va suivre ses recommandations", assure-t-on ainsi dans l'entourage Frédéric Cuvillier. "L’État doit jouer un rôle de garant quand il signe une concession, il doit renforcer son pouvoir de pilotage et de négociation, notamment pour protéger le pouvoir d'achat des Français", a renchéri Najat Vallaud-Belkacem lors du compte rendu du conseil des ministres.
Mais le gouvernement aura-t-il l'envie de changer de système ? Pas si sûr, car le système actuelle a une effet pervers qui arrange bien l’État : lorsqu'un concessionnaire privé augmente ses prix en effet, cela fait plus d'argent qui rentre dans les caisses publiques, via la TVA.