Prothèses dentaires : que changerait la transparence des prix ?

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SANTÉ - La loi pourrait obliger les dentistes à préciser le prix d’achat des prothèses qu’ils revendent ensuite à leurs patients.

L’info. Lancé dans une réforme des professions réglementées aussi vaste que difficile, le ministre de l’Economie a dévoilé dimanche sur M6 un détail, en apparence anodin, mais qui pourrait bien réduire les dépenses de santé de nombreux Français. Emmanuel Macron a en effet annoncé que la future loi Santé, dont l’examen est prévu pour début 2015, pourrait obliger les chirurgiens-dentistes à préciser dans leurs devis le prix auquel ils achètent les prothèses qu'ils revendent ensuite aux patients. Objectif de cette manœuvre baptisée "dissociation de l’acte prothétique" : une facture plus transparente et l’espoir d’une plus grande concurrence.

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Le coût des prothèses dentaires est longtemps resté une énigme. La pose de prothèse dentaire fait l’objet d’honoraires libres de la part des dentistes. Ces derniers fixent donc librement leurs tarifs et, le remboursement de l’Assurance maladie étant très limité, les patients ont intérêt à regarder de près le devis du praticien. Sauf qu’en la matière, ce fut longtemps très flou : les chirurgiens dentistes n’ont l’obligation de fournir un devis que depuis 2009, lorsque la facture dépasse les 70 euros.

Et visiblement, cette règle a du mal à passer puisque l’obligation de devis a été réitérée en 2012 et précisée par la nouvelle nomenclature des actes dentaires (la CCAM) : depuis juin 2014, le dentiste doit même préciser le prix de vente de la prothèse, et non un prix global pour tous les soins. Bref, la culture du devis est nouvelle chez les dentistes et reste perfectible : selon une étude menée début 2014 par Santéclair, la filiale commune de plusieurs complémentaires santé, 85% des devis qui leur ont été envoyés ne respectaient pas la loi.

Ce que doit contenir aujourd’hui un devis. Pour rappel, un chirurgien dentiste doit aujourd’hui préciser dans son devis la description du traitement proposé, ainsi que le détail des actes envisagés : nature de l'acte, localisation, matériaux utilisés et montant des honoraires. Doivent également être précisé la base de remboursement par l’Assurance maladie, le montant total des honoraires et ce qui restera à la charge du patient.

Le patient dispose ensuite d’un délai de 8 jours avant d’accepter le devis et a le droit, voire l’intérêt, de demander un devis à d’autres praticiens pour comparer les tarifs proposés. Ce qui peut se révéler judicieux puisqu’une étude de Santéclair montrait que le prix d’un même type de prothèse dentaire pouvait varier de 30% d’un cabinet à l’autre.

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Ce que changerait la loi. Elle obligerait les dentistes à non plus indiquer le prix auquel ils vendent une prothèse mais celui auquel ils l’ont achetée et son origine. Car ces chiffres sont aujourd’hui très différents : alors qu’une  couronne céramo-métallique coûte entre 45 et 150 euros à l’achat (selon qu’elle est produite à l’étranger ou en France), elle est facturée en moyenne 550 euros, selon les chiffres de 60 Millions de consommateurs. Ce qu’a confirmé Catherine Mojaïsky, présidente de la Confédération nationale des syndicats dentaires, lundi sur Europe 1 : "le prix de fabrication que nous payons au prothésiste représente entre 10 et 15% de l’honoraire", soit entre 80 et 120 euros pour une facture finale de 800 euros.

Bref, en obligeant le dentiste à préciser le prix d’achat d’une prothèse, le patient pourrait faire la distinction entre le prix du matériel et celui de l’intervention. Et le gouvernement  espère ainsi instaurer une plus grande transparence mais aussi permettre aux patients de comparer les offres. Pour, in fine, faire jouer la concurrence, délaisser les praticiens trop gourmands et réduire les tarifs dans tout le secteur.

Pourquoi les professionnels sont vent debout ? Cette  "dissociation de l’acte prothétique", les dentistes en entendent parler depuis des années et la refusent catégoriquement. Avec plusieurs arguments : ils estiment ne pas être de simples "revendeurs" de prothèses et mettent en avant le risque d'une chirurgie "low cost" que provoquerait une hypothétique guerre des prix.

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Sans oublier le constat fait par le rapport Ferrand sur les professions réglementées : les dentistes gonflent leurs tarifs sur les prothèses pour récupérer l’argent qu’ils ne gagnent par ailleurs. "Selon les données de la confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), les chirurgiens-dentistes consacrent 70 % de leur temps de travail aux soins conservateurs et chirurgicaux, mais en tirent seulement 24 % de leurs honoraires, alors que les prothèses dentaires représentent 65 % de leurs honoraires (en 2008), pour seulement 30 % de leur activité", rappelle le document remis à Emmanuel Macron fin octobre.

Les dentistes estiment donc ne pas avoir le choix : s’ils ne maintiennent pas leurs marges sur les prothèses, c’est l’équilibre de leurs cabinets qui sera fragilisé. A moins que l’ajustement ne se fasse sur leurs revenus (7.800 euros nets par mois en moyenne en 2012) ou leur temps de travail. Dernière hypothèse : que les tarifs réglementés, qui datent de 1972, soient mis à jour. Car même Bernard Detrez, président de l’Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD) plutôt en froid avec les dentistes, l’a reconnu lundi sur Europe 1 : "les soins ne sont pas payés à leur juste valeur. On ne les a pas revalorisé et ce n’est pas normal qu’un chirurgien dentiste ne trouve pas l’équilibre dans ces soins". Mais une telle révision des tarifs supposerait une très longue négociation avec l’Assurance maladie.