Alors que les salariés de Radio France sont toujours en grève, la Cour des comptes a publié mercredi un rapport très critique dans lequel elle invite le groupe public à corriger des "défaillances" de gestion. Celles-ci ne sont "pas acceptables", écrivent les sages de la rue Cambon, face à une situation financière inquiétante.
Radio France, une maison à la gestion contestée. En janvier, Radio France a adopté son budget 2015, déficitaire de 21,3 millions d'euros, une première dans son histoire. Or, pour la Cour des comptes, ce n’est pas un dérapage isolé : à ses yeux, tous les ingrédients sont réunis pour que les comptes de Radio France restent dans le rouge au cours des prochaines années.
"Depuis dix ans, les antennes de Radio France connaissent un développement peu ordonné et dispendieux (...), sans recherche de coordination des activités ni de mutualisation des moyens", écrit la Cour, qui rappelle que les effectifs du groupe ont augmenté de 14,3% entre 2000 et 2011, quand ceux de la fonction publique diminuaient de 9,3%. Bref, la Cour des comptes estime que l'entreprise devra réaliser un "effort très significatif d'économies structurelles, impliquant d'importantes mesures de réorganisation". Et le rapport de préciser, pour ne pas accabler le groupe : "la qualité de ses programmes fait l’objet d’une appréciation positive. Leur contenu culturel, comme le professionnalisme de ses programmes d’information, ne sont pas contestés".
Comment Radio France en est-elle arrivée là ? Plusieurs raisons expliquent ce dérapage financier. Il y a d’abord l’enveloppe que l’Etat alloue chaque année à Radio France : historiquement, Radio France établissait son budget et l’Etat lui versait la somme correspondante. Mais cette période est révolue : désormais, l’Etat fixe d’abord l’enveloppe allouée à Radio France, financée par la redevance, et la direction du groupe radiophonique est censée faire avec. Or, la somme allouée à Radio France recule depuis peu : "entre 2012 et 2015, le montant de cette ressource a baissé de 610 millions à 601 millions d'euros" par an, rappelle Le Monde.
Un changement de paradigme que Radio France doit intégrer au pire moment : en pleine rénovation de ses locaux, une opération dont le coût a presque doublé et qui n’est toujours pas terminée. Des travaux qui, en outre, n’ont pas été "maîtrisés" car "Radio France ne s’est pas dotée d’une équipe, d’une organisation et de procédures adaptées". Mais le constat de la Cour des comptes ne s’arrête pas là : absence "d’objectifs de réforme assignés à l’entreprise", "modèle social complexe est source de grandes rigidités" et "dialogue social intense, difficile voire conflictuel".
LA POTION AMÈRE PROPOSÉE PAR LA COUR DE COMPTES
"Confrontée à une situation financière en dégradation rapide, Radio France doit réviser en profondeur ses modes de fonctionnement. L’entreprise gagnerait à s’inspirer des expériences menées par les radios publiques étrangères pour engager un processus de mutation", écrivent les auteurs du rapport. Voici les principales recommandations.
Un maître mot : mutualiser. "Depuis dix ans, les antennes de Radio France connaissent un développement peu ordonné et dispendieux. Leurs budgets ont augmenté de 27,5 %, sans recherche de coordination des activités ni de mutualisation des moyens", souligne le rapport. La Cour des comptes suggère donc de fusionner les rédactions de France Inter, France Info et France Culture, qui emploient au total quelque 270 journalistes en CDI, selon la direction de Radio France. Mardi, le PDG du groupe, Mathieu Gallet, a toutefois écarté cette piste. "La fusion des rédactions ne correspond pas à ma vision du pluralisme de l'information et de la complémentarité des antennes de Radio France", a-t-il écrit dans un courrier aux salariés.
En suivant la même logique, le rapport préconise de fusionner les deux orchestres symphoniques de Radio France, dont la coexistence "pose question". Mathieu Gallet a déjà évoqué l'hypothèse de ne conserver qu'un seul des deux orchestres. Si les 250 musiciens des deux orchestres rejettent catégoriquement l'option d'une fusion, l'intersyndicale de Radio France n'est pas hostile à une baisse négociée des effectifs, pourvu qu'elle soit "proportionnée" aux efforts demandés au reste de la maison.
Faire des choix, quitte à fermer une station. La Cour appelle aussi à "statuer sur l'avenir du Mouv'" avant la signature du prochain contrat d'objectifs et de moyens (COM) avec l'État, courant avril. Une façon de s'interroger sur une éventuelle suppression de la station. Avec cinq directeurs en quatre ans, la station créée en 1997 a toujours eu de la peine à trouver son public : après avoir mis l’accent sur le rock, elle se consacre depuis peu au rap et à l’électro. Mais les audiences n’ont pas pour autant décollé : moins de 0,5% d'audience, alors que la direction de la station espère atteindre 1%. Fermer cette station – ou Fip – est donc une piste envisagée par Mathieu Gallet, même si on peut aussi y voir une solution de facilité permettant d’éviter des changements plus structurels à l’échelle de tout le groupe.
Mettre entre parenthèse la rénovation de la maison ronde. Enfin, la Cour enjoint à Radio France d'"étudier toutes les options possibles pour la fin du chantier de la Maison de la radio et leur impact financier". Une allusion à un possible arrêt partiel du chantier de rénovation, qui a pris du retard. La Cour rappelle que ce dernier a vu ses coûts "dériver", fragilisant les comptes de l'entreprise. "Alors que l'opération a été engagée en 2004 sur la base d'un coût global prévisionnel de 262 millions d'euros courants, cette dernière estimation prévoit un coût final à l'achèvement de 575 millions d'euros courants", écrit-elle.
Le rendez-vous de Gallet chez Pellerin. Le président de Radio France Mathieu Gallet est convoqué jeudi par la ministre de la Culture Fleur Pellerin pour préciser l'ensemble de son projet stratégique pour le groupe public, paralysé depuis deux semaines par un mouvement de grève, a annoncé mercredi le porte-parole du gouvernement.Ce plan stratégique doit permettre d'orienter les décisionsdu gouvernement dans le cadre du contrat d'objectifs et demoyens 2015-2019 qu'il doit conclure avec le groupe public, quiprévoit un déficit de 21,3 millions d'euros cette année.
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