A quoi aura servi le rapport Sartorius, commandé par le gouvernement? Destiné à "dégager un diagnostic précis, rigoureux et partagé sur la situation réelle du groupe PSA", selon les termes du ministère du Redressement productif, le document a été présenté mardi matin. Censé déterminer si le plan de suppression de 8.000 postes du groupe est justifié, son constat déçoit.
» Lire pour comprendre : ce que contient le rapport Sartorius
"Pas un travail d'expert"
"Difficultés du groupe, mauvaise stratégie, nécessité de supprimer des postes… Ce document n'a fait que dévoiler des éléments déjà connus. Nous n'avons rien appris", regrette Franck Don, délégué central CFTC, contacté par Europe1.fr. "Le rapport Sartorius n'est pas un rapport d'expert, assure le syndicaliste. Il s'est contenté d'éplucher les comptes que PSA a bien voulu lui donner, ou ceux publiés sur internet."
Outre les éléments dont disposait Emmanuel Sartorius, l'auteur du rapport est directement mis en cause par les syndicalistes. Haut fonctionnaire de ministère de l'Economie spécialisé dans l'ingénierie, auteur de rapports sur l'espace, les satellites, les télécoms, la défense, la sécurité, le nucléaire ou même les conséquences économiques de la grippe aviaire… L"'expert" du gouvernement n'a jamais vraiment travaillé dans l'automobile. Un simple "preneur de note" selon Jean-Pierre Mercier, de la CGT d'Aulnay.
"Que deviendront les salariés qui refusent les reconversions proposées par PSA? Ne peut-on pas faire autrement que de supprimer autant d'emplois pour réduire les coûts? Ne peut-on pas espacer les départs dans le temps pour éviter les licenciements secs ? Quels seront les postes de 'reconversion industriel' promis par PSA? Le rapport Sartorius ne répond pas à nos questions. Pourtant, c'est ce qu'il fallait demander aux dirigeants de PSA", regrette Franck Don.
"M.Sartorius disposait de tout ce dont il avait besoin"
Interrogé par Le Monde, le ministère de l'Economie reconnait que le rapport ne "contenait aucun scoop." "Il permet de donner tous les éléments, de manière équilibrée, pour comprendre la situation de PSA et pour contribuer au dialogue social qui désormais doit s'ouvrir", se justifie Bercy.
Pour arriver à ce résultat, Emmanuel Sartorius a épluché tous les comptes de PSA et rencontré tous les acteurs concernés. Dirigeants du groupe et de ses différents pôles et services, syndicats, services de Bercy spécialisés ou encore dirigeants de l'IFP énergie nouvelle, institut public spécialisé sur la recherche et la formation dans les domaines de l'énergie… Beaucoup sont venus dans le bureau de l'expert mandaté par le gouvernement.
» Pour savoir qui a été interrogé pour ce rapport, lire la page 43 du rapport intégral
Du côté de chez PSA : on reconnaît un réel rapport "d'expert". "M. Sartorius s'est servi des comptes publiés sur notre site Internet, détaille une source proche du dossier chez le constructeur, contactée par Europe1.fr. Nous sommes une société cotée en Bourse. Donc tous ces comptes sont validés et certifiés par des cabinets d'experts comptables indépendants. C'est la règle. Des rémunérations des dirigeants aux aspects financiers, il y a plus de 400 pages de chiffre. M. Sartorius disposait de tout ce dont il avait besoin", assure PSA.
Et au sujet du manque de connaissance du secteur automobile d'Emmanuel Sartorius, le gouvernement met en avant son éclectisme, puisque le haut fonctionnaire a déjà prouvé être capable de faire des rapports critiques sur des sujets complètement différents.
Secafi Alpha : "nous avons accès à des informations confidentielles"
Insuffisant pour les organisations syndicales, qui attendent désormais avec impatience le rapport mandaté par le CCE fin juillet, réalisé par le cabinet Secafi Alpha. Mais qu'aura-t-il de plus que celui élaboré par Emmanuel Sartorius, que le gouvernement présente bien comme un "expert" depuis des mois ?
"Par une investigation plus poussée, avec des lectures de livres de comptes, des interviews creusées et orientées des dirigeants de PSA, Secafi Alpha, groupe d'experts comptables spécialisé dans ce type d'audit, a promis de répondre aux questions laissées en suspens par le rapport Sartorius", affirme le syndicaliste Franck Don.
Le rapport Secafi Alpha est prévu pour fin novembre. Il prévoit, "fort d'une équipe d'une dizaine de consultants, d'analyser la situation du groupe et la pertinence du projet de PSA au regard de cette situation", renseigne le cabinet d'experts. "Nous allons éplucher les chiffres des comptes de PSA. Rencontrer les spécialistes de la filière, faire jouer notre réseau de contacts, pour qu'ils mettent ces chiffres en perspective, décèlent les causes, les enjeux, les alternatives éventuelles de le situation du groupe", décrit Nadia Ghedifa, directrice générale de Secafi Alpha contactée par Europe1.fr.
Interrogée sur le fait de savoir si le cabinet allait avoir accès à davantage de chiffres qu'Emmanuel Sartorius, la directrice générale répond : "nous avons un mandat et les mêmes pouvoirs qu'un Commissaire aux comptes, et à ce titre, accès à des informations confidentielles", tout en précisant qu'elle ignore les informations dont disposait Emmanuel Sartorius. Gouvernement et syndicats attendent avec impatience leur rapport, avant d'entamer les négociations. Et d'éventuellement se préparer à un mouvement social d'ampleur.