Ils dénoncent un "marché parallèle" et une "concurrence déloyale". Les députés socialistes Jacques Cresta et Sylviane Bulteau ont posé, à une semaine d'intervalle, la même question écrite adressée au gouvernement. L'objet de leur inquiétude : le succès des sites d'annonces immobilières de particulier à particulier, type Le Bon Coin ou PAP, qui ferait perdre de l'argent à la Sécurité sociale.
312 millions de manque à gagner estimés. Lorsqu'une transition immobilière se fait de particulier à particulier l'acheteur saute la case agent immobilier et ne paie donc pas les 20% de TVA liée aux frais d'agence. Il doit seulement s'acquitter des 5% de droits d’enregistrement lié à l'achat du bien.
Or, "le principal site internet d'annonces gratuites en France, accessible sans inscription préalable, propose environ 260 000 annonces (le nombre d'annonces de particulier actuellement sur le site ndlr). Si l'on considère une somme moyenne de 6.000 euros HT (de frais d'agences perdus ndlr) sur ces transactions, à laquelle on appliquerait 20 % de TVA, on obtient 312 millions d'euros environ de manque à gagner pour l'État", dénoncent les deux parlementaires.
Un chiffre crédible ? Comme le détaille le site génération nouvelle technologie, c'est une évaluation un peu "rapide, qui ne tient pas compte d'une foule de facteurs. Premier d'entre eux : tous les biens proposés ne trouvent pas preneur. Ensuite, certains biens sont affichés plusieurs fois. Enfin, les frais d'agences ne peuvent être estimés aussi facilement, puisque les annonces concernent autant les villas les plus luxueuses que de simples garages situés dans des campagnes isolées".
Toutefois, le manque à gagner pour l'Etat est bien là, est pourrait même être encore plus élevé que le supposent les deux députés. "6.000 euros moyen de frais d'agence, ça me paraît un peu bas. On est plutôt aux alentours de 9.000 euros", précise ainsi à Europe1.fr Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du management des services immobiliers et ancien délégué général de la FNAIM.
D'autant que sur les plus de 700.000 transactions immobilières réalisées tous les ans, entre 40 et 50% se font sans professionnels, selon les différentes estimations. Mais il est difficile de savoir si l'essor d'internet y est pour quelque chose. "Il faudrait savoir si cette proportion a évolué ces dernières années. Mais c'est difficile à savoir. Il y a ceux qui estiment qu'elle a augmenté, et d'autres qui disent qu'elle stagne. Seuls les notaires disposent de chiffres exacts mais ils ne les communiquent pas", explique Henry Buzy-Cazaux.
Peut-on légiférer ? Toutefois, même si la responsabilité de ces sites dans le manque à gagner pour l'Etat était avérée, vouloir les soumettre à la TVA n'aurait pas beaucoup de sens. La TVA, "Taxe sur la valeur ajoutée", comme son nom l'indique, taxe la valeur ajoutée. En proposant une offre de recherche professionnelle, l'agent immobilier apporte cette valeur ajoutée. Les sites d'annonce en ligne, eux, se contentent d'afficher l'annonce du propriétaire. "Ce n'est juridiquement pas possible de les taxer. Il fut un temps, ces annonces étaient surtout matérielles, dans les journaux papiers par exemple. Aujourd'hui, elles sont dématérialisées. Ce n'est que de l'édition de contenus", estime ainsi Henry Buzy-Cazaux.
Sans aller jusqu'à proposer une taxe, les deux députés socialistes demandent de "réglementer" ces nouveaux types de transaction. Mais même ça, cela semble compliqué. "On ne peut pas interdire aux propriétaires d'un bien immobilier de le vendre par eux-mêmes. Ce serait une atteinte au droit de propriété", explique également Bruno Dondero, professeur de Droit, dans une tribune sur le "Plus" du Nouvel Obs. "Ca relève de la liberté d'information. Juridiquement, je ne vois pas ce que l'on pourrait y faire", poursuit Henry Buzy-Cazaux.
"Le passage obligatoire par des professionnels n'est rendu obligatoire que lorsqu'il y a délégation de service publique. Pour se soigner, on doit aller voir un médecin par exemple. Mais tout le monde peut réparer soi-même sa voiture !", renchérit le président de l'Institut du management des services immobiliers. Selon lui, ce n'est pas à l'Etat de pousser les consommateurs vers les agents immobiliers, mais "c'est aux professionnels de convaincre le consommateur que c'est mieux de passer par eux. C'est le principe d'un acte commercial".