Un juge peut-il revenir sur un plan social s’il considère que les difficultés économiques invoquées par l’entreprise sont insuffisantes ? Telle est la question à laquelle la Cour de cassation devait répondre jeudi, saisie dans le dossier Viveo, un éditeur de logiciels bancaires. La décision prise aurait pu faire jurisprudence et modifier le droit social français. Ce ne sera finalement pas le cas : la chambre sociale de la Cour de cassation a invalidé jeudi la décision judiciaire précédente.
Les employés de Viveo critiquent leur plan social
Retour sur les faits : quelques semaines après son rachat par le groupe suisse Tenemos, l’entreprise Viveo a annoncé en 2010 un plan social visant 64 salariés sur les quelque 180 que comptait alors l'entreprise. Mais les syndicats de l’entreprise l’ont rapidement contesté.
D'après le Code du travail, le motif économique, qui permet d'enclencher des licenciements collectifs, peut être invoqué dans trois cas : difficultés économiques, sauvegarde de la compétitivité et mutations technologiques.
Viveo a donc invoqué des difficultés économiques pour justifier son plan social, ce que contestent les syndicats : à leurs yeux, Viveo France était une entreprise en bonne santé lors de son rachat. Mais, selon eux, l’acheteur ne s’intéressait qu’au carnet de clients de l’entreprise et l’a laissé sombrer dès qu’il a mis la main sur ces contacts. Les syndicats contestent donc l’argument des difficultés économiques et ont porté l’affaire devant la justice.
Qui doit décider s’il existe des difficultés économiques ?
Saisie par les syndicats, la cour d'appel de Paris avait dans un premier temps annulé le plan social chez Viveo au motif qu'il n'était pas fondé sur un motif économique. Contestant cette décision, la direction a porté l’affaire devant la Cour de cassation qui a finalement statué dans son sens.
Le jugement de cette juridiction aurait pourtant pu marquer un tournant important pour le droit social. Si la Cour de cassation avait validé le précédent jugement, cela aurait signifié qu’un juge peut contester les difficultés économiques avancées par une entreprise pour justifier un plan social. Une telle option a finalement été écartée par la justice.
Une possible "déflagration dans le droit social français"
L’avis de la Cour de cassation était donc suivi de près par les entreprises, les syndicats, les salariés et les juristes : cette décision ne concernait pas la seule entreprise Viveo mais le droit social dans son ensemble. Si les règles du jeu en matière de plan social avaient changé, "cela aurait permis de sortir de l'hypocrisie (...) qui conduit à attendre les prud'hommes pour savoir s'il y a un motif économique ou pas", avaient estimé les avocats des salariés avant le jugement.
A l’inverse, pour les employeurs, il s’agissait d’une ingérence du juge dans la gestion de l'entreprise. "Si la Cour confirme la décision, cela voudrait dire que l'on valide une autorisation judiciaire des licenciements, après avoir mis fin à l'autorisation administrative" (en 1986, ndlr), prévenait ainsi une avocate.
Seule certitude, si la Cour de cassation avait confirmé qu’elle annule le plan social chez Viveo, cela aurait été "une déflagration dans le droit social français", décryptait un avocat travaillant pour le compte des comités d'entreprise. Mais, précisait-il, "les licenciements de pure convenance (aussi appelés licenciements boursiers) sont rares et ne représentent qu'une minorité de plans sociaux". Finalement, point de big-bang au sein du droit social : la justice a préféré le statu quo.