16 milliards de dollars (11,7 milliards d'euros), c'est à peu près le PIB annuel du Cambodge. C'est également l'équivalent de 300 fois la fortune de Beyoncé, de quatre nouveaux World Trade Center ou de la dette de l'enseignement supérieur aux Etats-Unis, s'est récemment amusé à calculer le site américain Mashable. 16 milliards, c'est également le montant de l'amende qu'envisageaient au départ les autorités judiciaires américaines, dans le dossier BNP Paribas, a-t-on appris vendredi de sources proches du dossier.
Ces dernières ont certes précisé que ce montant n'avait été avancé qu'en tant que tactique de négociation, pour obtenir le plus possible de la banque française. Mais il démontre aussi la détermination de la Justice américaine à faire payer la BNP. En France, l'affaire est même devenue politique. L'exécutif tricolore a encore menacé vendredi de faire capoter les négociations entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur le traité commercial transatlantique si les autorités américaines ne mettaient pas de l'eau dans leur vin.
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10 milliards pour le viol d'un embargo. C'est le Wall Street Journal qui, jeudi 29 mai, a alerté le public sur les intentions américaines. Le journal financier new-yorkais révèle alors que les autorités judiciaires demandent à la banque française une amende de plus de 10 milliards de dollars (7,3 milliards d'euros) pour avoir violé pendant quatre ans l'embargo américain contre Cuba, le Soudan et l'Iran entre 2002 et 2009. À l'époque, la règlementation européenne n'interdisait pas le commerce avec ces pays. Le hic : pour ses affaires, la BNP était obligée de passer par la chambre des compensations de New York, afin de convertir ses liquidités en dollars. Elle passait donc, par la même occasion, sous le coup de la législation américaine. Ce qui lui vaut aujourd'hui le courroux de la justice transatlantique.
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La BNP menacée de "mort à Wall Street". Les sanctions qui pèsent sur la banque française sont multiples. D'une part, elle risque une amende XXL, voire un procès au pénal. Car en violant l'embargo, c'est bien dans une affaire "criminelle" que la banque s'est embourbée. À l'heure actuelle, BNP négocie son amende avec plusieurs interlocuteurs : le parquet de Manhattan, celui de New York, et le Département de la justice américain (DoJ), sorte de parquet fédéral suprême. Son but : trouver un accord avec ces autorités pour payer la plus petite amende possible et éviter un procès au pénal. Mais même si elle y parvient, une autre sanction, plus compromettante, lui pend au nez.
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Le régulateur de la finance de Wall Street, le Department of Financial Services de New York, pourrait en effet retirer à la banque sa licence d’exploitation sur le sol des Etats-Unis. Une mesure considérée comme l’équivalent d’une “peine de mort à Wall Street”, selon les mots du New York Times. Enfin, ce même régulateur demande la tête d'une douzaine de dirigeants de la banque, dont le directeur général délégué, Georges Chodron de Courcel, a-t-on appris vendredi.
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Une affaire d'Etat. Le dossier a rapidement pris des allures d'affaire d'Etat. Le gouvernement français accuse en effet les Etats-Unis de traitement inégalitaire entre la BNP et les autres banques. À titre de comparaison, pour des délits similaires de violation d'embargo, la banque néerlandaise ING n'avait versé, en 2012, "que" 619 millions de dollars et la britannique Standard Chartered 670 millions.
François Hollande a donc écrit à Barack Obama pour l'alerter sur le "caractère disproportionné des sanctions envisagées" contre la banque hexagonale, dans une lettre envoyée le 7 avril. "Ils se sont ensuite parlé au téléphone à ce sujet", a précisé l'Elysée mercredi. Les deux hommes ont également dîné ensemble jeudi soir, et François Hollande dit avoir abordé la question. Les ministres des Finances, Michel Sapin, de l'Economie, Arnaud Montebourg, et des Affaires étrangères, Laurent Fabius, sont intervenus dans les médias tout au long de la semaine pour relayer la parole du chef de l'Etat.
De l'administration Obama, la France espère qu'elle s'implique davantage dans le dossier. Et qu'elle fasse pression sur les autorités judiciaires. Et pour convaincre les autorités judiciaires d'opter pour une amende "light", la France agite par ailleurs le spectre d'une mise en péril de tout le système bancaire européen. Car le risque est que d'autres banques soient contraintes de passer à la caisse : l’Allemande Deutsche Bank, l’Italienne Unicrédit et les Françaises Société Général et Crédit Agricole, ont toutes eu des activités interdites par les Etats-Unis.
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La fin de non recevoir d'Obama. Le hic : la Maison Blanche refuse d'intervenir dans ce dossier, au nom de la séparation des pouvoirs politique et judiciaire. "Je comprends tout ça mais dans notre tradition et dans notre système, il ne m'appartient pas d'intervenir sur l'aspect judiciaire des choses", a éludé Barack Obama, selon des propos rapportés vendredi par Laurent Fabius. Et sans intervention de la Maison blanche, l'affaire paraît mal engagée pour la BNP. Car Benjamin Lawsky, Eric Holder et Cyrus Vance, les trois hommes qui ont les clés du dossier, n'ont pas vraiment le profil pour se faire attendrir par la France.
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Le premier, à la tête du régulateur financier de New York, est surnommé le "Saint-Just de Wall Street", pour sa proportion à vouloir faire payer les responsables de la crise financière. Le second est à la tête du Département de la Justice américaine. Et il sait la pression qui pèse sur lui : son prédécesseur a été écarté sans avoir pu épingler un seul grand nom de Wall Street responsable de la crise. Du coup, Holder "veut marquer le coup", résume Derek Knerr, ex-procureur fédéral, cité par l'AFP. Le troisième, enfin, est déjà connu du public français. "Cyrus Vance était en charge de l'affaire DSK. Or, il considère cette affaire comme un terrible échec. Il a aujourd'hui à cœur de réussir dans ce nouveau dossier et ne tolèrera aucune pression politique", résume pour Europe1.fr Nicole Bacharan, politologue spécialiste des États-Unis. La BNP et François Hollande vont devoir se montrer convaincants.