Renault fragilisée mais Renault toujours debout. Le constructeur au losange est dans la tourmente depuis la révélation mercredi, d’un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui l’accuse d’avoir mis en place des "stratégies frauduleuses" pour fausser les tests d'homologation de certains moteurs diesel et essence, depuis plus de 25 ans. De nouvelles informations qui posent beaucoup de questions.
Qui est la source du rapport ?
Les informations parues dans la presse mercredi sont tirées d’un seul et unique rapport de la DGCCRF, le gendarme de Bercy chargé fin 2015, dans la foulée du "Dieselgate", de repérer d’éventuelles tromperies chez Renault. Les conclusions de l’autorité de régulation ont été rédigées en novembre 2016 et accusent le constructeur d’avoir "utilisé une stratégie ayant pour objectif de fausser les résultats des tests antipollution".
La DGCCRF tire une partie de ses informations d’un ancien salarié de Renault, un technicien qui a quitté le groupe en 1997. C’est lui qui affirme que le dispositif frauduleux était utilisé dès 1990. Un témoignage clé puisque, d’après Libération, la Répression des fraudes évoquait dans un premier temps une tromperie remontant à 2009. D’autres sources internes à Renault ont-elles collaboré avec la DGCCRF ? En l’état actuel des révélations, impossible de l’affirmer. Mais l’autorité de régulation dispose certainement d’éléments saisis lors d’une perquisition effectuée au début de l’enquête.
Qu’entend-on vraiment par "fraude" ?
Selon le rapport de la DGCCRF, depuis 1990, "plusieurs véhicules étaient équipés de dispositifs de détection de cycle" qui permettaient à la voiture de repérer si elle était en train de passer des tests d'homologation. Dans ce cas, l'électronique adaptait le fonctionnement du moteur pour que ce dernier émette moins de polluants. Mais une fois en circulation sur les routes de France, les émissions de gaz polluants explosaient.
Peut-on pour autant parler de logiciel, comme dans le cas du "Dieselgate" de Volkswagen ? Entre 2009 et 2015, le constructeur allemand avait équipé ses véhicules diesel avec un logiciel fourni par Bosch. Renault est soupçonné d’avoir employé une technique similaire près de vingt ans plus tôt. A l’époque, l’informatique venait seulement d’entrer dans l’ère que l’on connaît aujourd’hui. Il n’est donc pas acquis que Renault ait employé un logiciel, mais peut-être plutôt un capteur capable de déclencher ou d'éteindre les instruments de bord. Dans tous les cas, si les accusations de la DGCCRF sont confirmées, alors cela implique un niveau de recherche avancé pour l’époque.
Quels sont les véhicules concernés ?
Les soupçons de fraude qui pèsent sur Renault ont trait principalement aux moteurs diesels, comme Volkswagen. Dans son article, Libération mentionne deux véhicules du constructeur au losange affichant des niveaux de pollution réels qui explosent les seuils réglementaires : le Captur, produit depuis 2013 (+377%) et la Clio IV, en circulation depuis 2012 (+305%). Mais le rapport de la Répression des fraudes jette le trouble en affirmant que la première génération de Clio, sortie en 1990, est également concernée pour les moteurs à essence. Ce qui laisse à penser que le nombre de véhicules équipés du dispositif frauduleux pourrait être bien plus important que les 900.000 avancés dans un premier temps.
"Il faut savoir qu'une flotte de véhicules dure environ 15 ans. Donc si la fraude dure depuis 25 ans chez Renault, on parle peut-être de la quasi-totalité de certains modèles encore en circulation", estime pour Europe 1 Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé environnement au sein de l'association France Nature Environnement (FNE).
Où en est l’enquête ?
Les révélations lâchées mercredi par Libération et l’AFP sont inédites pour le public mais n’ont pas surpris la justice. En effet, c’est ce même rapport de la DGCCRF, rédigé en novembre, qui sert de base à l’enquête en cours. Il s’appuie notamment sur des perquisitions effectuées en janvier 2016 dans plusieurs sites Renault en Île-de-France. Les conclusions de la Répression des fraudes ont été transmises fin décembre au parquet de Paris.
Une information judiciaire a été ouverte le 12 janvier visant Renault pour "tromperie sur les qualités substantielles et les contrôles effectués". Le dossier a été confié à trois juges d’instruction et l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, qui a enquêté sur le Mediator, les prothèses mammaires PIP et le "Dieselgate", a été saisi. Ce service de la gendarmerie a repris l’enquête depuis le début.
Carlos Ghosn peut-il être inquiété ?
C’est un aspect du dossier sur lequel la DGCCRF insiste : "l'ensemble de la chaîne de direction de Renault qui rend compte en dernier ressort à son PDG" est impliquée. "Aucune délégation de pouvoir n'a été établie par Carlos Ghosn concernant l'approbation des stratégies de contrôle utilisées pour le fonctionnement des moteurs", relève notamment la Répression des fraudes qui conclut à "la responsabilité" du PDG du constructeur.
Un point que conteste "formellement" Renault depuis mercredi. Yannick Bolloré, le numéro 2 du groupe, a contesté l’organisation hiérarchique évoquée par la Répression des fraudes. Il assure que "Renault, comme toutes les sociétés, a des délégations de pouvoir et les a communiquées à la DGCCRF". Ce flou devrait pouvoir être clarifié facilement : les chaînes de décision sont en général régies par des statuts propres à chaque entreprise. Responsable ou non, Carlos Ghosn a sûrement en tête l’exemple de l’ex-PDG de Volkswagen. Martin Winterkorn avait préféré démissionné, avant d’être visé par l’enquête, estimant que son entreprise avait "besoin d’un nouveau départ".
Quels recours pour les automobilistes ?
A ce niveau de l’enquête, les propriétaires d’un véhicule Renault diesel doivent rester patients. Tant qu'aucun préjudice économique n'est reconnu, déposer plainte ne sert à rien. Or, l’enquête des juges, entamée il y a deux mois environ, va prendre beaucoup de temps, probablement plusieurs années.
En cas de fraude avérée de la part de Renault, il faut privilégier une action en justice collective qui donnerait plus de poids à la plainte des consommateurs. Si la date de 1990 est confirmée, tous les faits ne seront pas couverts au pénal en raison des délais de prescription. Mais une telle durée de fraude "renforce la responsabilité éventuelle de Renault, et donc la possibilité de sanctions lourdes" au civil, indique au micro d'Europe 1 Nicolas Godefroy, juriste à l’UFC-Que-Choisir, association de consommateurs qui s’est portée partie civile dans ce dossier.