Produits du terroir, animaux de la ferme et agriculteurs bons vivants : c’est toute la tradition française qui s’expose à partir de samedi au Salon de l’Agriculture. Une tradition qui relève chaque année un peu plus de l’image d’Épinal car les fermes françaises sont de plus en plus connectées. Un fermier sur cinq s'aide désormais de capteurs, d'applications, de drones… Après avoir bouleversé le commerce, le tourisme ou les transports, le numérique peut-il révolutionner l’agriculture ? Réponse avec Florian Breton, fondateur de MiiMOSA, une plateforme de financement participatif dédiée à l’agriculture, et co-président de l’association La Ferme Digitale qui promeut les nouvelles technologies dans les exploitations.
Comment définissez-vous la ferme connectée ?
La ferme connectée, ou ferme digitale, c’est l’ensemble des solutions numériques innovantes mises à disposition des agriculteurs pour faciliter leur installation, optimiser leur production et améliorer leur quotidien. L’innovation agricole passe à la fois par des logiciels développés par des start-up, des projets professionnels novateurs, des objets connectés, l’exploitation du big data… Nous sommes persuadés que l’agriculteur est le héros du 21ème siècle, tout simplement parce qu’il est au cœur de la transition alimentaire et environnementale. C’est une profession en pleine mutation et le numérique est un accompagnateur dans cette nouvelle phase.
Quels sont les outils numériques à la disposition des agriculteurs ?
Il y a de tout. Ekylibre propose des logiciels de gestion de l’exploitation avec carte des parcelles et suivi financier. Airinov loue des drones pour analyser depuis le ciel la qualité des sols et anticiper les récoltes. Le boîtier connecté Karnott se fixe sur le tracteur et collecte tout un tas d’informations pendant les interventions. Weenat a créé des stations météo avec un niveau de précision parcelle par parcelle. Bref, dans une ferme, on peut quasiment tout faire avec l’aide du numérique.
" Nous sommes régulièrement en contact avec des plus de 60 ans "
Après, il ne faut pas être naïf : les nouveaux outils numériques doivent avant tout améliorer la performance des exploitations. Il s’agit d’aider les agriculteurs à améliorer leur productivité. C’est l’objectif d’un site comme Agriconomie qui propose des outils, des semences et des engins moins chers que chez les fournisseurs classiques. Mais performance et durabilité ne sont pas incompatibles. L’agriculture représente 30% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Il faut donc que les fermes connectées fonctionnent dans une perspective de performance à la fois économique et environnementale.
A quoi servent concrètement ces innovations digitales ?
Le numérique est une source d’optimisation sur l’ensemble de la chaîne agricole et alimentaire, de la fourche à la fourchette, du champ à l’assiette. L’analyse des sols permet d’agir autant en amont de la production (répartition des semences) que pendant (niveau d’eau et d’engrais) et en aval (régénération des terres). Les sites de vente en ligne transforment la vente des produits agricoles. Pour résumer, l’"agtech" cherche à améliorer chaque étape de la chaîne.
Il y a aussi un besoin de reconnecter les producteurs et les citoyens. Le réseau de La Ruche Qui Dit Oui ou le site de financement participatif MiiMOSA ont la volonté de transformer les consommateurs en acteurs à travers le financement de leur alimentation. La technologie du blockchain (une technologie de stockage d'informations et de documents publique et cryptée, ndlr) permet aussi une meilleure traçabilité des produits.
Le numérique est-il une évidence pour les agriculteurs ?
Nous travaillons avec beaucoup d’humilité. Au sein de la Ferme digitale, nous sommes tous fils ou petit-fils d’agriculteurs et il n’est absolument pas question de leur apprendre leur métier. L’agriculture est un berceau d’innovation millénaire, la ferme connectée n’est qu’une étape de plus dans cette évolution. Nous créons des innovations et nous laissons les exploitants se les approprier. Aujourd’hui, on travaille avec 80 à 100.000 fermes en France (sur un peu plus de 400.000 dans l’Hexagone, ndlr).
" J’ai bon espoir qu’avec ces outils naisse une agriculture durable et rémunératrice "
L’arrivée des nouvelles technologies dans les exploitations est récente, depuis 2012 environ. Nous sommes très dépendants de l’accès à Internet et au réseau mobile. Environ 85% des exploitants sont connectés à Internet donc il reste des zones blanches à couvrir. Mais il y a une vraie demande de la part des agriculteurs. Ils maîtrisent déjà souvent les outils informatiques pour suivre les cours des matières premières et les évolutions météo.
La ferme connectée intéresse-t-elle autant l’éleveur de 30 ans né avec Internet que le maraîcher de 60 ans peut-être moins technophile ?
Ce n’est absolument pas une question d’âge. Quand j’ai fondé MiiMOSA avec mes associés, on nous a dit qu’on ne parlerait qu’aux jeunes agriculteurs. Résultat, 40% des porteurs de projet sur notre site ont plus de 40 ans, l’âge au-dessus duquel on est n’est plus considéré comme un "jeune agriculteur". Chez nous ou chez d’autres start-up, nous sommes régulièrement en contact avec des plus de 60 ans, souvent des notables dans leur région, très organisés et qui veulent évoluer dans leur métier.
Après, il est vrai que l’agriculture française est vieillissante. Aujourd’hui, on ne remplace qu’une exploitation sur deux. En modernisant les fermes, on veut aussi accompagner ce renouvellement nécessaire des générations, l’encourager. Mais il faut garder en tête que la majeure partie des innovations ne sont pas plus compliquées à utiliser que Facebook pour eux.
Comment accompagner les fermes dans cette transition ?
Pour les start-up dans le domaine des fermes connectées, il y a évidemment un gros travail d’accompagnement auprès des agriculteurs afin de les aider à prendre en main les logiciels, les applications ou les équipements. De notre côté, ça veut dire qu’il faut être joignable 7j/7j et s’adapter à leurs contraintes. Après, il faut savoir qu’ils aiment bien s’identifier à leurs pairs. Il suffit qu’un producteur d’une coopérative se forme auprès des techniciens pour qu’ensuite il forme ses collègues. Le bouche à oreille fonctionne très bien dans ce milieu.
" Si l’innovation n’apporte rien, l’agriculteur l'abandonne très vite "
Mais les entreprises ne peuvent pas assurer un suivi quotidien pour tout le monde. D’un côté, on a quelques entrepreneurs qui innovent dans l’"agtech" et de l’autre, on a des centaines de milliers d’agriculteurs demandeurs de ces innovations. Le fossé est grand mais entre les deux, il y a un monde de corps intermédiaires (coopératives, syndicats) qui a un rôle à jouer. Il faut les faire monter en compétences pour qu’ils puissent contribuer à l’information et à la formation sur les nouveaux outils numériques.
Alors qu’un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros par mois, les innovations numériques ne sont-elles pas un coût supplémentaire ?
Plus que le coût, c’est avant tout le retour sur investissement. Si l’innovation n’apporte rien, l’agriculteur abandonne très vite son usage. Les entreprises de l’"agtech" s’en sont vite rendu compte. Airinov, par exemple, est passé d’un modèle basé sur la vente de drones à la location aux entrepreneurs agricoles. Il y a parfois un coût à l’entrée pour ces nouvelles technologies mais d’autres fois il n’y a rien à avancer, comme pour les projets en crowdfunding. Au fur et à mesure, les solutions s’adaptent aux contraintes du secteur agricole, notamment grâce aux retours d’expérience des exploitants.
Idéalement, le numérique pourrait-il remédier au problème de rémunération des agriculteurs ?
Aujourd’hui, on marche sur la tête. Il est inconcevable que des gens avec qui on a rendez-vous trois fois par jour dans notre assiette ne puissent pas se verser de salaire et vivre dignement. Le numérique ne peut pas résoudre seul tous les maux de l’agriculture française. Mais il a un rôle à jouer car il permet d’augmenter la compétitivité des exploitations. Les logiciels qui optimisent le dosage d’intrants phytosanitaires, les capteurs qui régulent au millilitre l’irrigation, les données sur la santé des troupeaux : tout cela permet de réduire le coût de revient des fermes et donc d’augmenter la marge des producteurs. J’ai bon espoir qu’avec ces outils naisse une agriculture durable et rémunératrice.