Un déplacement pour taper du poing sur la table. Emmanuel Macron part à la rencontre des agriculteurs ce mardi en Bourgogne, à Étaules, près de Dijon. Le président doit notamment visiter une exploitation familiale, alors que les négociations annuelles commerciales s'achèvent dans moins d'une semaine. Ces tractations permettent à toute la filière agro-alimentaire de négocier les prix que les produits afficheront dans les supermarchés. Et le chef de l'Etat compte rappeler à l'ordre la grande distribution et les industriels pour une meilleure rémunération des producteurs.
Auchan, Leclerc, Casino et les autres distributeurs appuient "fort" pour faire baisser les prix
Car les discussions entamées en octobre dernier ont été très tendues cette année, malgré la loi sur l'Alimentation promulguée fin 2018, qui a permis de redonner un peu de poids aux agriculteurs dans les tractations. Dans un contexte tendu, grande distribution, fournisseurs et producteurs s'accusent mutuellement de saper ces négociations cruciales. Mais parmi ces trois acteurs, seuls les deux premiers sont à la table des négociations. Dès lors, savoir qui ment est complexe. Mais Bercy donne un élément de réponse et affirme qu'Auchan, Leclerc, Casino et les autres distributeurs appuient "fort" pour faire baisser les prix. Ce qui se répercute mécaniquement sur toute la chaîne, au bout de laquelle se trouve les producteurs.
Maraîcher dans les Bouches-du-Rhône, Patrick Levêque dénonce ainsi la gourmandise de la grande distribution. "Alors qu'une salade coûte minimum 30 centimes à produire, elle se vend entre 15 et 20 centimes." Même son de cloche chez Thomas Chaulier, président des Jeunes agriculteurs des Bouches-du-Rhône et viticulteur, dont les cuves de vin sont remplies d'invendus.
Mais ce contexte déjà complexe s'est vu adjoindre une difficulté supplémentaire cette année : le Covid. Une pandémie qui a complètement rebattu les cartes de cette tractation annuelle. "La négociation est complexe cette année car nous reconnaissons que beaucoup d'industriels rament. Et c'est très difficile de négocier avec quelqu'un qui rame", confirme au micro d'Europe 1 Michel-Edouard Leclerc. Des difficultés qui s'expliquent notamment par la fermeture des bars, des restaurants et la mise à l'arrêt du secteur de l'évènementiel qui ont fait chuter la demande. Mais cela n'empêche pas la grande distribution de demander aux industriels une baisse des prix de l'ordre de 1,33 %, contre 0,73 % pour les plus petits groupes.
"C'est parfois à la limite du racket"
"Certains enseignes sont très commerciales, mais avec d'autres c'est parfois à la limite du racket", tacle Luc Bayens, patron de la marque d'eau Cristaline. Et si le mot utilisé par Luc Bayens est fort, il illustre le niveau des tensions autour de la table. Une ambiance qui ne doit rien au Covid, puisqu'il y a de l'électricité dans l'air chaque année lors de ces négociations comme l'explique au micro d'Europe 1 David Garbous. "La première fois qu'on participe, on peine à y croire tellement c'est énorme. Ce sont des moments très difficiles à vivre" explique celui qui a déjà été autour de la table pour représenter Lesieur et Fleury Michon.
"Une forme de jeu de rôle se met en place. On met la pression sur son interlocuteur pour faire en sorte qu'il soit amené à prendre une décision très rapidement... Des techniques comme celle-là sont utilisées de manière très habile d'un côté comme de l'autre pour parvenir au prix souhaité", ajoute David Garbous.
Une véritable guerre des prix dont se lassent les agriculteurs qui appellent les deux parties à prendre leurs responsabilités. "Les coûts de production ne sont pas respectés par la grande distribution mais également par les industriels qui ont aussi une part de responsabilité", affirme Patrick Benezit, secrétaire général de la FNSEA, syndicat majoritaire dans la profession agricole. Et les agriculteurs vivent d'autant plus mal cette situation quand ils voient les résultats de la grande distribution. Carrefour a par exemple connu une hausse record de près de 8% de son chiffre d'affaires mondial par rapport à 2019 avec 78 milliards d'euros. Sa meilleure performance depuis 20 ans.
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Des situations très tendues, notamment sur la charcuterie
Reste que pour le consommateur, les tractations devraient être transparentes. Si l'on en croit des négociations déjà bouclées pour les PME de l'industrie agro-alimentaire, les prix devraient augmenter de 0,3%. Mais pour certains secteurs, comme la filière bovine et porcine, le suspense reste entier. La charcuterie fait également l'objet d'intenses négociations. C'est même là où la situation est la plus complexe selon Bercy. Et pour cause, la grande distribution avait demandé une baisse des prix de l'ordre de 2%.
C'est donc pour éviter des prix trop bas pour les agriculteurs qu'Emmanuel Macron se rend sur le terrain pour taper du poing sur la table, avant la fin des négociations fixées à dimanche 23h59.