Faute d’avoir convaincu ses pilotes d’adouber le plan Perform 2020, la direction d’Air France privilégie désormais la manière forte : elle a présenté vendredi en conseil d'administration un scénario prévoyant le retrait de quatorze avions d'ici à la fin 2017 et la fermeture de cinq lignes sur le réseau long-courrier. Ce qui n’était qu’un plan B en cas d’échec des négociations avec les syndicats est donc désormais la piste privilégiée. Mais pourquoi les négociations sur le plan baptisé "Perform 2020" sont-elles si difficiles ? Et surtout pourquoi les pilotes cristallisent-ils toute l’attention ?
Des plans en cascade pour une compagnie en difficulté. Depuis quelques années, Air France fait face à une double menace : elle est très sérieusement concurrencée par les low cost sur les vols court et moyen courriers, mais aussi par les compagnies asiatiques et surtout du Golfe sur le long-courrier. La compagnie française perd des parts dans un marché pourtant en pleine expansion et tente donc de réagir. Mais Air France connaît de telles difficultés qu’à peine avait elle terminé le plan "Transform 2015" qu’elle dévoilait en septembre 2014 un nouveau plan de productivité baptisé "Perform 2020".
Le régime des pilotes au coeur des discussions. Cette succession de plans a de quoi fatiguer les employés d’une entreprise soumis à une cure d’austérité depuis plusieurs années. Mais une catégorie de personnel d’Air France est plus particulièrement en conflit avec la direction : les pilotes de ligne. "Au cours de ces négociations, on nous a demandé quelque chose d’absolument déraisonnable, de socialement inacceptable : deux mois de travail gratuit", a dénoncé Philippe Evain, le président du premier syndicat de pilotes, le SNPL, vendredi sur Europe 1. Ces derniers refusant de signer l’accord "Perform 2020", la direction brandit désormais son plan B, supprimer certaines lignes. Mais pourquoi la compagnie aérienne n’hésite-t-elle pas à entamer un bras-de-fer avec une profession qui a longtemps cogéré l’entreprise ?
Tout simplement parce que les pilotes ne sont pas exempts de tout reproche, et il n’est pas ici question du mouvement de grève historique qui a paralysé la compagnie en septembre 2014. La direction reproche en effet aux pilotes de ne pas avoir respecté leurs engagements pris lors du plan "Transform 2015", alors que toutes les autres catégories de personnel ont joué le jeu (cf infographie ci-dessous). D’où un certain ressentiment en interne et une direction qui n’hésite plus à utiliser la manière forte : d’abord en portant plainte cet été contre le SNPL pour non-respect de ses engagements, ensuite en invoquant le si redouté "plan B", la suppression de 10% de son offre long-courrier.
Au fait, que prévoit le nouveau plan Perform 2020 ? De poursuivre les efforts de compétitivité, ce qui peut se résumer par la formule suivante : travailler plus pour une rémunération inchangée. L’objectif est de réaliser un gain de productivité de 17% en moyenne, en faisant voler les pilotes de lignes et le personnel navigant (hôtesses et stewards) une centaine d’heures supplémentaires. Et la direction d’invoquer un argument imparable : ses équipes travaillent entre 15 et 20% de moins que la concurrence équivalente (Lufthansa, British Airways, Delta Air Lines, American Airlines). Il ne s’agirait donc que de s’aligner sur le rythme de travail de la concurrence.
Le SNPL dénonce "une parodie de négociation". Cet argument de la normalisation par rapport à la concurrence ne passe visiblement pas chez les pilotes. "Ce à quoi on a assisté depuis le début du mois, c’est une parodie de négociations. Je me demande s’il (le PDG d’Air France, ndlr) ne prend pas les Français, les salariés d’Air France, voire le gouvernement, pour des imbéciles", a réagi Philippe Evain, vendredi sur Europe 1. Et le chef de file du SNPL d’ajouter : "Les interlocuteurs que nous avons eu pendant ces négociations n’avaient aucun mandat pour faire le moindre pas vers nous. C’est en ce sens que je dis que c’est une parodie. Ca n’a absolument aucun sens".
D’autant que le SNPL estime avoir "fait un ensemble de propositions qui n’ont absolument pas été étudiées" : remplacer le plan Perform 2020 par le plan conclu par les pilotes de la compagnie sœur KLM, à savoir un gel des augmentations générales de salaires pendant trois ans qui permettrait de réaliser un gain de productivité de 4% par an. Soit 12% au total, quand la direction veut réaliser 17%. Pour la direction, le compte n’y est donc pas et justifie de vouloir passer en force, d’autant que les pilotes n’ont pas respecté leurs précédents engagements. Mais là aussi, les pilotes contestent cette accusation et estiment être "allés bien plus loin que les 20% de productivité". Le dialogue social s’annonce une nouvelle fois compliqué chez Air France, même si toutes les parties autour de la table n’ont pas d'autre choix pour sauver l’entreprise.