C’est une page de l’industrie française qui se tourne. Près de 90 ans après sa création en Alsace, Alstom, constructeur entre autres du TGV, s’apprête à fusionner avec le géant allemand Siemens. Le conseil d’administration d’Alstom et le conseil de surveillance de Siemens se réunissent chacun de leur côté mardi pour envisager les modalités du rapprochement. Nécessaire pour résister à l’ogre chinois CRRC Corporation, numéro un mondial du secteur ferroviaire, cette fusion inquiète tout de même les syndicats qui craignent une casse sociale. Europe1.fr vous explique les enjeux d’un dossier historique.
Alstom va-t-elle passer sous contrôle allemand ?
Techniquement oui. En l’état des négociations, Siemens s’adjugerait entre 45 et 50% du capital du nouveau groupe. L’État français, actuellement actionnaire majoritaire d’Alstom (via des actions prêtées par le groupe Bouygues), avec 20% des parts, pourrait sortir du capital du constructeur ferroviaire. L'État a jusqu'au 17 octobre pour exercer son option d'achat et débourser un milliard d'euros pour acquérir définitivement ces 20%.
En revanche, la partie française du nouveau groupe restera importante. D’abord car c’est Henri Poupart-Lafarge, actuel patron d’Alstom, qui prendra la direction de l’entité issue de la fusion. De plus, le groupe Alstom-Siemens sera côté à Paris et non à Francfort, comme l’est aujourd’hui Siemens. Enfin, un système de majorité qualifiée devrait être mis en place, de façon à ce que les Allemands n’aient pas systématiquement la majorité au moment de décider de telle ou telle orientation stratégique.
Pourquoi cette fusion a-t-elle lieu maintenant ?
En 2003, Alstom connaît une grave crise financière qui nécessite deux augmentations de capital et l’intervention de l’État. Dans les années qui suivent, le constructeur ferroviaire est contraint de céder certaines de ses activités, notamment les chantiers navals de Saint-Nazaire où Alstom avait construit le Queen Mary II. Le démantèlement s’est poursuivi jusqu’en 2014, avec la vente de la branche énergie à l’Américain General Electric, Alstom se concentrant désormais uniquement sur le transport. A l’époque, Siemens avait formulé une offre concurrente mais c’est finalement celle de General Electric qui a été retenue par l’entreprise alsacienne puis avalisée par le ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron.
Mais, en 2016, Alstom annonce la fermeture de l’usine de Belfort, faute de commandes suffisantes. A l’aube de la campagne présidentielle, le gouvernement s’implique directement dans ce dossier et obtient le maintien de l’activité sur le site, par le biais de commandes de trains. Le retour au premier plan d’une fusion Alstom-Siemens n’est donc pas une surprise, tant elle apparaît nécessaire aujourd’hui pour maintenir sur les bons rails l'entreprise française, qui emploie tout de même 32.000 personnes dans le monde. "La consolidation est une nécessité pour lutter contre le mastodonte chinois (CRRC Corp, ndlr), qui est deux à trois fois plus gros que nous", estime Claude Mandart, représentant de la CFE-CGC Alstom.
Comment le dossier est-il géré par le gouvernement ?
Bercy ne voit pas d’un mauvais œil cette fusion qui permettrait de créer un "Airbus ferroviaire". Lâcher un bijou de famille est toujours difficile mais dans la tête de Bruno Le Maire, il vaut mieux un partenariat européen à l’amiable maintenant qu’une absorption chinoise agressive plus tard. "Le marché de la construction et de la signalisation ferroviaire est en phase de consolidation", a souligné mardi Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, évoquant l'émergence du géant chinois CRRC, né en 2014 de la fusion de deux groupes chinois. CRRC "est aujourd'hui plus gros qu'Alstom, que Siemens et que le canadien Bombardier réunis", a-t-il rappelé.
"La prochaine étape de l'expansion de ce groupe chinois est vraisemblablement continentale, où CRRC pourrait s'appuyer sur l'acquisition d'un constructeur européen", a ajouté Benjamin Griveaux pour justifier le nécessaire rapprochement entre les deux groupes européens. Face à cette nécessaire fusion, l'État français veillera à ce que l’opération aboutisse à "un mariage entre égaux", a assuré Benjamin Griveaux. "L'État s'est déjà assuré qu'un certain nombre de garanties, notamment en termes d'emploi et de gouvernance, seront inscrites dans les termes de l'accord", a ajouté Benjamin Griveaux, interrogé à l’Assemblée nationale.
Pourquoi les salariés s’inquiètent-ils ?
La grande ressemblance entre Alstom et Siemens est autant un avantage pour la fusion qu’un facteur de risque pour l’emploi. En effet, qui dit activités similaires dit doublons. "On est inquiet car on est en choc frontal avec Siemens sur toutes nos activités : très grande vitesse, signalisation, trains régionaux, métros, tramways...", avance Claude Mandart. Or "des synergies vont être trouvées, c'est d'ailleurs tout l'intérêt de l'opération, donc il y aura malheureusement de la casse sociale à moyen terme, c'est incontournable", selon le représentant de la CFE-CGC, premier syndicat d’Alstom.
"Si on arrive tous avec les meubles de la grand-mère, à un moment donné on n'arrivera pas à tout mettre dans la maison. Forcément il y aura des doublons", renchérit Philippe Pillot (FO, quatrième syndicat). "La presse allemande parle de quatre ans de maintien de l'emploi en Allemagne et en France", mais "les garanties, c'est vite changé. Siemens sera là pour gagner de l'argent", estime le représentant CGT Daniel Dreger, en rappelant qu'au printemps le conglomérat allemand a "encore annoncé des licenciements en Europe". Au final, Claude Mandart souligne que "tôt ou tard celui qui absorbe reprend la stratégie", convaincu par ailleurs que "les Allemands savent mieux protéger leur industrie que les Français".