Ce n’est pas encore officiel mais le journal qui a sorti l’information est en général très bien informé. Selon le Nikkei, Carlos Ghosn, déjà PDG de Nissan et Renault, va aussi devenir en décembre celui de Mitsubishi. Le couple franco-japonais est venu au secours de ce constructeur automobile en prenant 34% du capital de Mitsubishi pour 1,9 milliard d’euros. En plaçant son PDG à la tête de Mitsubishi, le duo Renault-Nissan pourrait changer de dimension.
Mitsubishi, un constructeur en perdition. La marque aux trois diamants (Mitsubishi en japonais) est peu connue du grand public en France et cela se voit dans les chiffres de ventes : le constructeur représentait 0,2% des immatriculations dans l’Hexagone au cours du troisième trimestre 2015.
Pourtant, Mitsubishi n’est pas n’importe quel constructeur automobile : il est issu du conglomérat du même nom, un poids lourd de l’économie japonaise dont les activités vont de la banque à la construction navale en passant par le nucléaire, la chimie ou encore la photographie (Nikon). Cette assise a permis au constructeur automobile de se développer dans l’après-guerre et de devenir un spécialiste des micro-citadines, très populaires en Asie, et des véhicules tout-terrain. La marque a même acquis le respect du milieu et des amoureux de sports mécaniques avec la Lancer, qui a brillé en championnat de rallye WRC à la fin des années 1990.
Mais depuis le constructeur ne cesse de perdre pied. Fragilisé par la crise économique asiatique en 1997, le constructeur perd du terrain et tente de trouver le salut en s’alliant avec Daimler-Chrysler. Un rapprochement qui ne durera pas longtemps : le groupe germano-américain se désengage à partir de 2004 après un premier scandale : Mitsubishi reconnaît avoir dissimulé toute une série de défauts et de malfaçons sur ses modèles pendant huit ans. L’entreprise n’a cessé de reculer depuis, alors même que les autres constructeurs automobiles japonais n’ont cessé de gagner du terrain (voir infographie). Pire, Mitsubishi s’est même fait dépasser par Suzuki et Mazda.
Devenue trop petite et trop seule dans un secteur où les entreprises se cessent de s’allier, l’entreprise faisait le dos rond mais a connu le scandale de trop : Mitsubishi a reconnu en avril 2016 qu’il avait truqué ses tests antipollution sur la plupart de ses modèles au cours des 25 dernières années. Résultat, une action en Bourse qui chute de 40% en trois jours et une entreprise à l’agonie.
Pourquoi Renault-Nissan est-il intéressé ? Flairant le bon coup, l’alliance Renault-Nissan a profité de sa bonne santé pour proposer de venir au secours de Mitsubishi. Nissan va devenir son premier actionnaire en acquérant 34% de son capital pour environ 1,9 milliard d’euros. Si la nomination de Carlos Ghosn à sa tête est confirmée, Mitsubishi rentrera de facto dans l’alliance entre le Français et le Japonais. Mais pourquoi miser sur une entreprise en déclin et pas vraiment irréprochable ?
Il y a d’abord la raison financière : depuis la révélation de ses malfaçons, l’action Mitsubishi s’est effondrée. Alors qu’une action valait un peu plus de 1.000 yens au début de l’année 2016, cette dernière était passée sous les 500 yens lorsque Nissan a annoncé qu’il allait se rapprocher de Mitsubishi. La facture finale est donc moins élevée, une donnée qui compte : le groupe PSA, qui avait lui aussi envisagé de s’allier à Mitsubishi, y avait renoncé en 2010 en raison du coût de l’opération. L’action du Japonais valait alors plus de 1.200 yens.
Au-delà de son coût, cette opération est avant tout stratégique et industrielle. Alliés, les trois constructeurs peuvent obtenir de meilleurs tarifs dans leurs négociations avec leurs fournisseurs. De plus, ils peuvent réaliser des économies d’échelle : développer des pièces communes aux trois marques et mettre au point ensemble une plateforme pour chaque type de véhicule. Chaque constructeur n’a alors plus qu’à proposer une carrosserie originale. Mitsubishi peut également apporter à ses partenaires plusieurs technologies qu’il a mises au point, et notamment ses moteurs hybrides rechargeables. Sans oublier le partage d’usine, comme Renault et Nissan le font depuis plusieurs années.
D’un point de vue commercial, les trois entreprises peuvent aussi être complémentaires. Mitsubishi ne risque pas de marcher sur les plate-bandes de Renault en Europe, ni sur celles de Nissan bien réparties entre l'Asie et l'Amérique : il réalise plus de 90% de ses ventes en Asie et est en position de force dans deux géants de la région, la Thaïlande et l’Indonésie. Or, c’est dans cette zone que se trouvent la plupart des acheteurs de demain.
La dernière raison est, elle, plus symbolique : renforcée par Mitsubishi, la future alliance pourrait se rapprocher de la barre symbolique des 10 millions de véhicules produits dans l’année et intégrer le top 3 mondial avec Volkswagen et Toyota. Une ambition clairement affichée par Carlos Ghosn dans un entretien accordé fin septembre aux Echos.
Une opération néanmoins risquée. L’arrivée probable de Carlos Ghosn à la tête de Mitsubishi est très bien vue par les Japonais, qui lui attribuent le redressement de Nissan. Mais est-il pour autant assuré de réussir ? La question se pose lorsqu’on voit l’état de Mitsubishi : des ventes en chute, des modèles pas vraiment époustouflants et, surtout, des scandales qui s’enchaînent sans qu’aucune leçon n’en soit tirée. Relancer cette marque va donc demander une méthode claire mais aussi de l’argent. C’est précisément parce qu’il fallait remettre beaucoup d’argent au pot que Daimler-Chrysler s’en est désengagé et que PSA a renoncé à une alliance.
Un autre risque concerne plus spécifiquement Renault, qui a préféré ne pas investir dans Mitsubishi pour éviter que l’Etat français ne s’en mêle. En laissant Nissan à la manœuvre, la marque au losange risque aussi de voir son allié engranger tous les lauriers et poursuivre sa montée en puissance. Le couple Renault-Nissan serait alors un peu plus déséquilibré en faveur du second au moment même où le marché asiatique sera en pleine croissance.