Intense journée pour Emmanuel Macron : le président de la République reçoit de 9h à 17h, l’ensemble des partenaires sociaux (à l’exception de la CFDT, reçue vendredi matin) pour évoquer les réformes de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’assurance-chômage. Cette dernière devrait polariser les débats, étant donné l’importance que lui avait accordé le candidat Macron pendant sa campagne. Mais les ambitions du chef de l’État risquent de se heurter aux lignes rouges des syndicats sur le sujet.
Extension aux indépendants et aux démissionnaires. Emmanuel Macron a promis une double extension du régime de l’assurance-chômage, aux indépendants et aux démissionnaires (une fois tous les cinq ans pour eux). Actuellement, seuls les salariés du privé (y compris les intérimaires) et les employés du public dont l’employeur adhère à l’assurance-chômage peuvent en bénéficier. Ils doivent également respecter quelques conditions : avoir perdu leur emploi involontairement, avoir travaillé quatre mois au cours des 28 derniers mois et ne pas avoir suffisamment cotisé pour bénéficier de leur retraite à taux plein. Enfin, il faut s’inscrire à Pôle emploi dans l’année suivant la perte d’emploi.
Les chefs d’entreprise indépendants peuvent déjà bénéficier d’un régime volontaire d’assurance-chômage. Mais en étendant ce droit à l’ensemble des travailleurs indépendants, Emmanuel Macron poursuit sa politique de valorisation du travail, déjà entamée avec la suppression des cotisations salariales. De leur côté, les démissionnaires peuvent déjà être indemnisés, à condition d’avoir un motif de départ "légitime", par exemple pour suivre un conjoint muté ou s'ils peuvent témoigner, au bout de quatre mois de chômage, d'une recherche active d'emploi. Là encore, le président souhaite offrir une garantie financière aux Français qui quittent leur emploi.
Le problème du financement. L'extension de l'assurance chômage au-delà des seuls salariés involontairement privés d'emploi doit s'accompagner d'une réforme de son financement et de sa gouvernance. Aujourd’hui, le régime est financé par les cotisations salariales (2,4% du salaire brut) et patronales (4,05%). Emmanuel Macron a promis, et ce sera fait dès 2018, de supprimer les cotisations salariales en les compensant par une hausse de 1,7% de la CSG, dont l'assiette est plus large. Quant aux cotisations patronales, il compte les moduler en leur appliquant un bonus-malus pénalisant les entreprises qui, par un recours excessif aux contrats courts, coûtent cher à l'assurance-chômage.
Le financement est justement le grand flou du projet du gouvernement. Durant la campagne, Emmanuel Macron avait uniquement chiffré le coût de l’extension de l’assurance-chômage aux démissionnaires, à 1,4 milliard d’euros par an. Sauf que le président a peut-être été trop optimiste : l’Institut Montaigne estime que la mesure coûtera le double (2,7 milliards). Et en incluant l’extension aux indépendants, le think tank libéral chiffre un coût total de 4,8 milliards d’euros annuels. Bien loin de l’estimation budgétée par l’équipe du candidat Macron.
Un effet d’aubaine qui coûte cher. L’envolée probable du coût de l’assurance-chômage pour l’Unédic (l’organisme qui indemnise les chômeurs) s’explique par un "effet d’aubaine". En offrant ainsi un matelas financier à des travailleurs qui n’en bénéficiaient pas avant, le gouvernement risque d’en inciter une partie à quitter leur emploi, décision qu’ils n’auraient pas prise autrement. L’ouverture aux démissionnaires coûterait d’autant plus cher qu’elle pourrait surtout tenter les plus aisés, assurés de retrouver un emploi grâce à leurs qualifications. "On est bien conscient que ce sera une aubaine pour les cadres qui s’en sortent bien", reconnaît un acteur du dossier contacté par Europe1.fr. Du côté de Bercy, on tempère : "L’ouverture aux démissionnaires s’inscrit dans une réforme globale du régime, il y aura aussi des contraintes".
Si le projet se révèle trop ruineux, le gouvernement pourrait être tenté de bricoler. Les syndicats ont déjà tiré la sonnette d’alarme. Pas question que l’extension se fasse au détriment d’une baisse généralisée du niveau des indemnisations chômage. Pour éviter ce cas de figure, selon Les Échos, Bercy effectue des évaluations "sur la base de règles d’indemnisations spécifiques". Les démissionnaires pourraient donc ne pas être logés à la même enseigne. Mais là encore, les syndicats veillent au grain.
Menace sur la gestion paritaire. En ce qui concerne la gouvernance de l’assurance-chômage, Emmanuel Macron a également prévu du changement. Le régime, géré paritairement par les syndicats et le patronat depuis 1958, basculerait vers une gestion tripartite avec un pilotage de l'État. Motif de ce changement : le président veut reprendre en main la gestion financière de l’indemnisation des chômeurs. Le régime affiche un déficit chronique depuis 2009 et qui a atteint 4,2 milliards d’euros en 2016 (pour une dette cumulée de 30 milliards d’euros).
Sauf que les syndicats et le patronat, pour une fois sur la même longueur d’ondes, ne veulent pas de cette gestion tripartite, qui leur retirerait une de leurs prérogatives les plus fortes. Pour tenter de convaincre Emmanuel Macron de changer d’avis, ils retournent l’argument financier contre lui : grâce à la nouvelle convention chômage signée en juin, sous l’égide donc des seuls partenaires sociaux, le déficit de l’assurance-chômage doit passer sous la barre du milliard d’euros (761 millions précisément) tandis que la dette sera enfin stabilisée. Les syndicats l’ont fait savoir : la gestion tripartite, c’est la ligne rouge.