"Finie la gabegie" : voilà le message de la Cour des comptes qui s’attaque, dans un rapport explosif publié mercredi, au déficit chronique de l’Assurance maladie depuis 25 ans (la dette s’élève aujourd’hui à 84 milliards d’euros). Les magistrats estiment notamment que les négociations telles qu’elles sont conduites actuellement avec les professionnels de santé débouchent sur des "résultats médiocres" et vont de réformes "enlisées" en "désaccords insurmontables". Comme solution, ils proposent de plus contrôler les pratiques des médecins libéraux, notamment en plafonnant les dépassements d’honoraires et en instaurant un conventionnement collectif.
Plafonner les dépassements d’honoraires
La Cour des comptes cible en particulier "les résultats modestes et ambigus de la limitation des dépassements tarifaires des médecins", auxquels elle entend porter "un coup d'arrêt". Aujourd’hui, le cadre des dépassements d’honoraires, qui ont atteint 2,66 milliards d’euros en 2016, est défini par une convention signée avec l’Assurance maladie, divisant les praticiens en trois catégories : ceux pour qui le dépassement doit être une exception, ceux qui peuvent fixer les tarifs librement et ceux qui ne sont même pas conventionnés. Pour la Cour des comptes, ce sont les spécialistes qui posent problème, puisqu’ils sont "45% à exercer en secteur 2, où les dépassements sont autorisés, contre 30% en 1985".
"Le taux moyen de ces dépassements tarifaires a de surcroît fortement augmenté, du moins jusqu’en 2013, date à laquelle il atteignait 56%, alors qu’il n’était que de 23% en 1985", soulignent les magistrats de la rue Cambon. Résultat, les spécialistes pèsent pour 92% du total des dépassements d’honoraires. Les psychiatres, les gynécologues et les pédiatres sont les plus prompts à faire grimper les prix. En guise de garde-fou, l’Assurance maladie effectue régulièrement des contrôles chez les médecins et peut informer le Conseil de l’Ordre en cas de "dépassements d’honoraires ne respectant pas le tact et la mesure".
" Un faible niveau des honoraires sera un frein pour la qualité des soins "
Insuffisant pour la Cour des comptes qui suggère, afin d’éviter les dérives, d'inclure dans la loi "des règles de plafonnement des dépassements d'honoraires (…) entraînant en cas de non-respect l'exclusion du conventionnement du professionnel de santé en cause". Une piste que le gouvernement ne semble pas vouloir considérer pour le moment mais plutôt continuer d’appuyer la négociation des conventions. "Nous travaillons avec l’assurance maladie à des voies complémentaires pour limiter les dépassements d’honoraires. L’objectif de maîtrise des dépassements d’honoraires est poursuivi à travers des mécanismes de régulation d’ordre conventionnel", affirment d’une même voix Agnès Buzyn, ministre de la Santé, et Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des comptes publics, cités dans le rapport de la Cour des comptes.
Par ailleurs, les médecins eux-mêmes s’opposent avec virulence à un plafonnement des dépassements d’honoraires. Ainsi, pour l’Union dentaire, ce sont "l’absence totale de revalorisation des bases de prise en charge de l’assurance maladie obligatoire de la prothèse dentaire et de l’orthodontie depuis plus de 30 ans" ainsi que "l’augmentation des charges et obligations" qui forcent les chirurgiens-dentistes à pratiquer des dépassements d’honoraires élevés. Pour le Syndicat des médecins libéraux (SML), instaurer de force un "faible niveau en France des honoraires sera un frein pour l’innovation et la qualité" des soins.
Quant aux patients, ils ne sortiraient pas forcément gagnants d’une telle mesure. En effet, les médecins qui dépasseraient le plafond seraient exclus de la convention de l’Assurance maladie. Une sanction synonyme de déremboursement pour les patients, la consultation chez un médecin non conventionné n'étant remboursée qu'entre 60 centimes et 1,20 euro par la Sécurité sociale.
Limiter la libre-installation
L’autre proposition sensible formulée par la Cour des comptes concerne les déserts médicaux. "Pour obtenir un rééquilibrage" de la répartition géographique des médecins, les magistrats veulent remplacer leur liberté d'installation par le "conventionnement sélectif", déjà appliqué aux infirmiers et aux sages-femmes. Concrètement, il s’agirait de priver de conventionnement les médecins qui s’installent dans des zones déjà bien fournies en praticiens de leur spécialité.
" Toute forme de coercition sera de nature à diminuer les installations "
Deux options sont envisagées : une mesure limitée aux "zones les mieux dotées", ou un dispositif national avec "un nombre cible de postes conventionnés" dans chaque territoire. Le rapport évoque aussi la possibilité de forcer les jeunes diplômés à exercer "dans des zones sous-denses pour une durée déterminée" avant de s'installer en libéral. Des propositions qui ne séduisent pas Agnès Buzyn et Gérald Darmanin. "L’efficacité du conventionnement collectif n’est pas démontrée pour toutes les professions de santé. (…) Le maintien d’une présence médicale durable dans les territoires fragiles ne peut se faire sans l’implication des professionnels", expliquent-ils. "Toute forme de coercition sera de nature à diminuer les installations", commente en parallèle le Syndical des médecins libéraux.
"La juste répartition des professionnels de santé est un sujet complexe, et je ne crois pas à l’obligation ou au conventionnement sélectif comme la Cour le propose", déclare de son côté Nicolas Revel, directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). "Il faut agir sur un ensemble de leviers, en facilitant l’installation libérale, afin de libérer du temps médical par le développement de l’exercice regroupé, les délégations de tâches entre professions de santé." Vu les nombreuses réticences, pas sûr que les mesures avancées par la Cour des comptes voient le jour dans les prochaines années.