En visite à Paris, Chris Hughes, le cofondateur de Facebook a accordé une interview à Europe 1. Il milite désormais pour le revenu universel, selon lui une urgence face à la précarité du travail.
Après avoir cofondé Facebook avec Mark Zuckerberg, participé à la campagne de Barack Obama en 2007 et géré (sans succès) un magazine national, Chris Hughes a déjà vécu mille vies alors qu’il n’a que 33 ans. Désormais, comme de nombreuses figures de la Silicon Valley, il s’est lancé dans une nouvelle mission : faire du revenu de base une réalité. De passage à Paris pour promouvoir son projet, le coprésident du groupe d’influence Economic Security Project a accordé une interview à Europe1.fr. L’occasion d’aborder ses points de convergence et de divergence avec le revenu universel de Benoît Hamon et sa vision du travail de demain.
Pourquoi défendez-vous l’idée d’un revenu universel ?
Le revenu de base est surtout une question de liberté. On ne peut pas être libre sans avoir la capacité de faire ses propres choix. Pour cela, il faut avoir une sécurité financière qui permette d’entreprendre sans s’inquiéter. Si vous n’avez plus à vous soucier de commettre des erreurs, alors vous pouvez inventer le futur. Cette liberté de choix est un droit humain, au même titre que la santé. Pour autant, il n’est pas question d’utiliser le revenu universel pour se détendre, il s’agit au contraire de se demander quel travail on veut. Et j’englobe dans "travail" toutes les activités qui ne sont pas définies comme telles, comme l’assistance aux personnes âgées.
Quelle est votre conception du revenu universel ?
Il y a beaucoup de façons de mettre en place un revenu de base, il n’y a pas qu’une seule bonne réponse. Pour l’instant, il faut envisager l’ensemble des applications possibles pour imaginer un futur centré sur le revenu de base. Aux États-Unis, on pense beaucoup à appliquer une taxe carbone et redistribuer les revenus sous forme de dividendes citoyens. Nous évoquons aussi l’idée d’un impôt négatif sur le revenu, une allocation versée sous conditions de ressources. Je ne suis pas partisan d’une de ces méthodes en particulier. Je reste assez ouvert mais je crois qu’il faut lutter pour l’idée, l’installer, et après on discutera des modalités d’application.
" Sur le revenu de base, il faut commencer par se demander "Pourquoi pas ?" "
Quel est le montant idéal pour vous ?
L’idéal, c’est que personne ne vive en situation de pauvreté. La question est donc de définir ce qu’est la pauvreté. A mon sens, il y a une pauvreté financière et une pauvreté de l’esprit. Si on parle de pauvreté financière, aux États-Unis, vous vivez sous le seuil de pauvreté si vous gagnez moins de 1.000 dollars par mois. Mais allouer une telle somme à chaque Américain implique un coût énorme. C’est compliqué mais le seuil est là, c’est l’objectif à viser.
Néanmoins, comme dit le proverbe, "le mieux est l’ennemi du bien". Donc si on commence avec 200 ou 300 dollars par mois, ce n’est pas une mauvaise chose non plus, comme c’est le cas actuellement en Alaska (une allocation d’un maximum de 2.000 euros est versée une fois par an aux habitants de l’État, ndlr). C’est un socle qui permet d’expérimenter pour ensuite améliorer le revenu de base.
Le revenu universel doit-il remplacer les autres allocations ou exister à côté d’elles ?
J’ai suivi le débat que vous avez eu en France sur ce sujet (durant la primaire de gauche, ndlr). Aux États-Unis, nous n’avons pas la même façon d’aider les personnes avec des faibles revenus, il y a moins d’allocations. Avant de penser à les remplacer, il faudrait commencer par les élargir. Sur cette question du remplacement ou non des allocations, la réflexion doit être locale car chaque pays, chaque administration a ses particularités. C’est une question assez complexe mais personnellement, je préfère penser à ce que l’on peut construire, plutôt qu’à ce que l’on peut détruire.
" Le salariat appartient au passé "
Benoît Hamon estime que le revenu universel est nécessaire car, à cause de la numérisation et de la robotisation des tâches, le travail va se raréfier. Vous partagez ce constat ?
En réalité, l’économie et le travail ont déjà été bouleversés. Le salariat appartient au passé. Le temps-partiel, les travailleurs indépendants ne sont pas des phénomènes nouveaux mais ils continuent de grandir. Maintenant on parle d’uberisation. Il y a une précarité grandissante aux États-Unis, en France, en Europe, c’est un fait. Peut-être qu’il y aura moins de travail dans le futur, peut-être pas. Mais ce qui est certain, c’est que la précarité va continuer à exister. Et c’est pour cette raison que l’on a besoin d’un revenu de base maintenant. Le travail a déjà été réinventé, il faut s’adapter rapidement.
Vous citez Uber. Avant de parler d’un revenu universel, ne faudrait-il pas mieux réglementer les nouvelles formes de travail précaire qu’on lui associe ?
Je ne dirais pas que Uber, Airbnb et les autres sociétés similaires créent la pauvreté. Elles font partie d'un système de précarité qui a commencé il y a dix, vingt ans. Je ne crois pas que ces nouvelles entreprises amplifient le problème. Au contraire, elles donnent plutôt une occasion aux gens qui sont déjà dans la précarité de trouver un travail ou une occasion d'en sortir. Uber et les autres sont des bonnes entreprises mais elles n’apportent pas de réponse durable au problème de la précarité. Il faut trouver une solution au niveau gouvernemental, comme le revenu de base.
Le revenu de base est-il la meilleure solution pour répondre aux évolutions futures de nos sociétés ?
C’est une solution parmi d’autres et probablement la plus importante. C’est une idée audacieuse, ambitieuse. Il faut ouvrir le débat et commencer par se demander : "Pourquoi pas ?", plutôt que : "Pour faire quoi ?". Après, on pourra définir les contours du revenu de base, notamment sur le montant et la réalité du terme "universel". Aujourd’hui, la priorité est d’expérimenter. Il faut faire des essais à grande échelle pour se rendre compte réellement des apports du revenu de base. C’est pour ça que le débat qui a lieu actuellement en France est porteur d’espoir.