Un acteur de plus sur le marché déjà bien embouteillé des VTC. Taxify, start-up estonienne, a investi les rues de Paris jeudi, avec un objectif assez clair : concurrencer sérieusement Uber. Mais comment une jeune pousse inconnue pourrait-elle rivaliser avec le mastodonte américain, implanté depuis 2011 en France ? Taxify possède un atout de poids dans sa manche : Didi Chuxing, géant chinois des VTC qui a investi plusieurs millions d’euros dans la start-up. Indirectement, Didi place ainsi ses pions en France et en Europe pour essayer de titiller Uber.
Bataille des chiffres. Le nom de Didi ne dit sans doute rien au grand public. Et pourtant, l’entreprise est valorisée autour de 42 milliards d’euros ! C’est certes moins que les 58 milliards d’Uber mais Didi n’opère que dans un seul pays : la Chine (dans 400 villes). Née en 2015 de la fusion deux applications de VTC, Didi Chuxing a conquis le gigantesque marché chinois en moins de deux ans et assure compter aujourd’hui 400 millions d’usagers. En 2015, la plateforme chinoise a réalisé 1,4 milliard de courses. Des chiffres qui donnent le tournis quand on sait qu’Uber, présente dans 82 pays compte "seulement" 40 millions d’utilisateurs actifs par mois et a totalisé un milliard de courses… entre 2009 et 2015.
Didi a fait tomber Uber à l’usure. La concurrence entre Didi et Uber a même été frontale, en Chine. En effet, la plateforme américaine s’est implantée sur le marché chinois en 2014. A l’époque, Didi Dache n’avait pas encore fusionné avec son concurrent mais était déjà l’acteur majoritaire du marché local des VTC. L’arrivée d’Uber a été perçue d’un mauvais œil par Didi et au bout d’une bataille commerciale longue de deux ans, l’application chinoise a fait plier sa concurrente américaine. En août 2016, Uber, incapable de rivaliser, a décidé de céder ses activités chinoises à Didi, en échange d’une participation de 20%. Sans rival, le géant chinois a dévoré le marché, qu’il contrôle aujourd’hui à 90%.
Ambitions internationales. Ces derniers mois, sous l’impulsion de sa présidente Liu Qing, Didi a multiplié les levées de fonds, récoltant plusieurs milliards de dollars (dont un milliard apporté par Apple), jusqu’à devenir la start-up la mieux valorisée d'Asie. Mais elle ne s’est pas encore lancée à l’international avec son propre nom. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’en a pas l’ambition. Ainsi, en mai, Didi a lancé une version anglaise de son application. Un moyen peu coûteux de familiariser les touristes et les hommes d’affaires de passage en Chine à son fonctionnement, en vue d’une future expansion hors de Chine.
Les milliards récoltés ont servi à préparer le terrain à une arrivée de Didi dans différents pays. La plateforme chinoise a récemment investi dans l'application indienne de réservation de taxis Ola, dans Lyft, rival d'Uber aux États-Unis, dans le service brésilien de VTC 99, et dans Grab, plateforme active en Asie du Sud-Est. Finalement, Didi a posé un pied en Europe en août, via un investissement de plusieurs millions d’euros, peut-être des dizaines, dans Taxify (le montant exact n’a pas été révélé mais Didi a investi à hauteur de 20% du capital de la start-up estonienne).
Taxify s’adresse aux clients et aux chauffeurs. Un soutien de poids qui permet à Taxify d’appliquer une stratégie agressive pour son arrivée sur le marché. Afin d’attirer les clients au milieu la foule des applications de VTC, le nouveau venu propose un rabais de 50% sur toutes ses courses pendant un mois. In fine, Taxify assure que ses tarifs seront 10% moins chers que ceux d’Uber. Objectif : conquérir un tiers du marché parisien. Mais Taxify ne veut pas attirer que les clients. La plateforme s’adresse aussi aux chauffeurs en leur proposant une meilleure rémunération : elle prélèvera une commission de 15% par course, contre 25% pour Uber. Taxify attaque là où Uber est en délicatesse : la relation avec les chauffeurs. "Cela permettra aux chauffeurs de gagner plus et d'être plus heureux. Et un chauffeur heureux rendra un client heureux", veut croire Markus Villig, 23 ans, PDG de la start-up, dans Le Parisien.
Didi avance masqué. Conséquence de cette politique, Taxify disposerait déjà, selon son fondateur de 2.000 chauffeurs actifs à Paris pour son lancement, et de 3.000 autres en attente. Reste que pour Taxify, et à travers elle Didi, cette implantation en France prend des allures de test. Le secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés-VTC, Sayah Baaroun, émet d’ores et déjà des doutes quant au modèle économique de la société. "Si Uber ne s'en sort pas en prenant 25%, l'autre va débarquer avec 15%, vous pensez qu'il va s'en sortir ?", lance-il.
Et quand ce ne sont pas les VTC qui s’inquiètent, ce sont les taxis. L’Union nationale des taxis compte saisir la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), au motif que le nom "Taxify" pourrait engendrer "une confusion dans l’esprit du consommateur". Autant d’obstacles que devra dompter Taxify. Et dans son ombre, Didi en tirera sûrement les enseignements pour son avenir…