Emmanuel Macron s'attendait à un déplacement risqué en venant à Amiens, d'où il est originaire, pour rencontrer les représentants syndicaux de l'usine Whirlpool, menacée de fermeture l'an prochain. Conscient du potentiel explosif de cette visite – des employés bloquent l’accès à l’usine depuis lundi, Emmanuel Macron ne s'est pas rendu pas sur le site industriel : le rendez-vous a eu lieu à la chambre de commerce et d’industrie, à l’abri des caméras. Mais il n'avait pas anticipé que Marine Le Pen le défierait frontalement : au même moment et alors que personne ne s'y attendait, elle s'est rendue auprès des salariés en grève devant l'usine.
Sur place, elle a réitéré ses attaques contre Emmanuel Macron, décrit comme le candidat de "l’oligarchie" et de la "mondialisation sauvage", arguant qu'elle trouvait "méprisant" de sa part de ne pas avoir rencontré directement les salariés. En sortant de sa réunion avec l'intersyndicale, le candidat d'En Marche! a fustigé une "utilisation politique" du cas Whirlpool par Marine Le Pen. Il s'est rendu à son tour à l'usine dans l'après-midi, restant discuter près d'une heure avec des salariés dans un climat plutôt hostile. Ce duel de campagne reflète la portée hautement symbolique de ce dossier social. En quelques mois, l'usine Whirlpool s’est en effet imposée comme un "nouveau Florange".
Usine centenaire. Le site industriel de la route d’Abbeville, à Amiens, existe depuis 1910. Il a d’abord servi à produire des machines agricoles, puis des produits électroménagers à partir de 1958 et des lave-linge depuis 1961 sous l’égide de Philips. Whirlpool prend la main sur l’usine en 1991 et entame la fabrication de sèche-linge en 1994. Au début du siècle, le site tourne à plein régime et emploie 1.300 salariés. Mais en 2002, Whirlpool décide de délocaliser la production de lave-linge en Slovaquie. C’est le début d’une lente agonie. Les effectifs fondent progressivement.
Whirlpool veut "sauvegarder sa compétitivité". Le coup de massue tombe fin janvier 2017 : l’usine fermera en juin 2018 et la production de sèche-linge sera délocalisée en Pologne, laissant les 290 salariés restants sur le carreau. L'objectif déclaré est de bénéficier de "plus fortes économies d'échelle" et ainsi "sauvegarder sa compétitivité" dans un contexte "de plus en plus concurrentiel". Le groupe avance que les prix de production en France sont supérieurs de 7,5% par rapport à la Pologne. Dans un communiqué commun, la maire d'Amiens Brigitte Fouré (UDI), le député de la Somme Alain Gest (LR) et le président de la région Xavier Bertrand (LR) font alors part de leur "colère et incompréhension" après cette décision répondant "à des impératifs exclusivement fondés sur la rentabilité financière".
Les élus "exigent" que Whirlpool et l'État "assument leurs responsabilités" pour que le "plan de revitalisation promis comporte un volet concret et efficace sur la ré-industrialisation du site". De son côté, Whirlpool assure qu'il ne licenciera pas en 2017 et "fera tout son possible" pour trouver un repreneur pour son site d'Amiens et un reclassement pour les 290 salariés. L’annonce de la fermeture, pendant l’entre-deux tours de la primaire de la gauche, fait du bruit mais peine à s’installer durablement dans l’opinion.
Défendus par Ruffin aux César. Les employés ne se résignent pas et tentent de faire entendre leur voix et multiplient les manifestations à Amiens. Leur combat bénéficie d’un coup de boost médiatique le 24 février. Sur la scène des César, le journaliste et réalisateur François Ruffin, récompensé pour son documentaire Merci Patron !, dédie son prix aux ouvriers de Whirlpool. "Il y a 15 ans, j'étais déjà à Amiens et c'était le lave-linge qui partait en Slovaquie. Pourquoi ça dure comme ça depuis trente ans ? Parce que ce sont des ouvriers qui sont touchés, et donc on en a rien à foutre", assène-t-il devant un parterre de stars. "Dans ce pays il y a peut-être des sans dents, mais surtout il y a des dirigeants sans cran." Quelques jours plus tard, François Ruffin, candidat aux législatives à Amiens (voir encadré), offre son César aux salariés.
Le discours engagé de François Ruffin pour...par CinemaCanalPlus
Le gouvernement réagit. Ce coup de gueule met l’usine Whirlpool dans la lumière. Pour ce qui constitue son dernier "dossier chaud", le gouvernement ne peut se permettre un échec. Le 16 mars, Bernard Cazeneuve présente un plan de "revitalisation économique" de 220 millions d’euros pour rendre le territoire local plus attractif : ligne ferroviaire Roissy-Picardie pour désenclaver la région, réseau de bus, rénovation de l’hôpital d’Amiens, plan de formation… Depuis, une commission a été mise en place par Matignon pour assurer le suivi au-delà des élections présidentielle et législatives du dossier Whirpool.
Le Pen fait des promesses… Le dossier s’est petit à petit imposé comme un sujet majeur de la campagne. Le 13 avril, Marine Le Pen publie un texte sur Facebook dans lequel elle s’adresse aux 290 employés. "Je veux dire aux salariés de l’entreprise, à ceux qui travaillent au quotidien avec eux, à leurs familles, que présidente de la République je ne laisserai pas faire. Whirlpool Amiens n’a aucune raison de fermer, le savoir-faire est présent, il est reconnu. Et Whirlpool Amiens ne fermera pas. J’en prends l’engagement", promet la candidate Front national. Alors qu'elle n'était pas attendue, Marine Le Pen s'est rendue directement à l'usine mercredi, alors qu'Emmanuel Macron était à la chambre de commerce et d'industrie d'Amiens.
… pas Macron. Le candidat d'En Marche! se montre plus prudent que son adversaire. Le 6 avril, il est l’invité de "l’Emission politique" sur France 2 et se retrouve confronté à François Ruffin, invité surprise et accessoirement ancien camarade de lycée à Amiens. Attaqué sur le cas de l’usine Whirlpool, le candidat d’En Marche! se défend : "Je considère qu'une campagne présidentielle, ce n'est pas pour faire des propos d'estrade avec des promesses qu'on ne sait pas tenir. Donc, je ne le fais pas pour Whirlpool. Je vous explique mon silence : ce n'est pas de l'indifférence. Mon silence, c'est un refus de manipuler des situations. Parce que je vais faire quoi ? Je vais y aller avec un camion et je vais dire : avec moi, ça fermera pas. Alors qu'on sait que ce n'est pas vrai".
L’énorme scud de Macron à Hollande : "je ne...par LeLab_E1
Souvenir de Florange. Emmanuel Macron prend donc le contre-pied de François Hollande, confronté il y a cinq ans à l'épineux dossier Florange. En 2012, François Hollande, alors en pleine campagne, se rend sur le site des hauts fourneaux d’ArcelorMittal en Moselle, à l’arrêt depuis octobre 2011. Le futur président de la République improvise une visite d’une heure qui marque les esprits. Juché sur le toit de la camionnette de l’intersyndicale, il s’adresse aux salariés en colère et promet de faire voter une loi prévoyant que "quand une grande firme ne veut plus d'une unité de production, elle soit obligée de la céder à un repreneur" afin qu'elle ne soit pas "démantelée". "Je viens devant vous prendre des engagements. Je ne veux pas me retrouver dans la situation d'être élu un jour sur une promesse et ensuite de ne pas revenir parce qu'elle n'aurait pas été tenue", assure François Hollande.
La loi "visant à reconquérir l’économie réelle", dite "loi Florange", a bien été promulguée en mars 2014 mais elle n’est pas aussi contraignante que prévue : elle oblige les dirigeants à chercher un repreneur mais pas forcément à en trouver un. Les hauts fourneaux ont bel et bien fermés mais la plupart des salariés ont été reclassés en interne. Un bilan en demi-teinte qui a plombé le début de quinquennat de François Hollande. Emmanuel Macron le sait bien : il était secrétaire général adjoint de l’Élysée durant cette période. La pression est d’autant plus forte pour lui qu’il est arrivé largement en tête au premier tour à Amiens, avec 28% des voix contre 18,4% à Marine Le Pen.
Cap sur les législatives
Quel que soit le président de la République le 7 mai prochain, le dossier Whirlpool ne s’éteindra pas du jour au lendemain. En effet, l’usine est située dans la première circonscription de la Somme où se présente François Ruffin. Le réalisateur de Merci Patron ! et instigateur du mouvement Nuit Debout a annoncé sa candidature début février et a mis Whirlpool au cœur de sa campagne. Outre l’épisode des César, François Ruffin est venu présenter son programme, entouré de ses soutiens de Picardie Debout, à l’usine. Un candidat médiatique et un dossier chaud : il ne fait aucun doute que l’on reparlera de la fermeture de l’usine Whirlpool en juin.