En cette période de chômage de masse, les comptes de l’assurance chômage sont naturellement dans le rouge : il y a plus d’allocations versées que de cotisations collectées. Mais une évolution du marché du travail aggrave ce déséquilibre : la généralisation des contrats courts, de type CDD, CDU et intérim. Le Conseil d'analyse économique s’est donc penché sur le sujet et ses conclusions, rendues publiques jeudi, sont troublantes : les règles actuelles de l'Assurance chômage favorisent les dérives, du côté des employeurs mais aussi des travailleurs.
Le constat : des CDD plus nombreux et surtout plus courts. Dans son étude intitulée Améliorer l’assurance chômage pour limiter l’instabilité de l’emploi, le Conseil d’analyse économique (CAE) dresse un constat : l’emploi de courte durée a explosé, et bien plus en France que dans le reste de l’Europe malgré les discours sur la rigidité du marché du travail hexagonal.
Certes, la part de salariés en contrat court est relativement stable depuis les années 2000, mais la durée de leurs contrats a, elle, radicalement évolué : entre 1980 et 2011, la durée moyenne d’un CDD a été divisée par trois pour atteindre cinq semaines. Si bien que le nombre de CDD de moins d'un mois a bondi de 146% en quatorze ans. De même, la durée moyenne d’un contrat en intérim est passée sur la même période d’un peu plus d’un mois à un peu moins de deux semaines. Et les auteurs de cette étude de conclure : "il s’agit d’une transformation profonde, les CDD longs étant remplacés par de multiples CDD courts." Plus étrange encore, "en 2011, plus de 70% des embauches en CDD sont des réembauches chez un ancien employeur".
Une évolution favorisée par le système. Si le nombre de travailleurs précaires est donc stable sur le papier, leurs missions sont de plus en plus courtes et de plus en plus souvent effectuées chez le même employeur. De quoi générer une certaine grogne sociale, et pourtant beaucoup acceptent la situation. Pourquoi ?
Tout simplement parce que le système d’Assurance chômage est conçu de telle manière qu’il incite les travailleurs précaires à rester dans le statu quo, notamment grâce aux règles actuelles permettant de cumuler revenu d’activité et allocations chômage. Et les auteurs du rapport de pointer un "mécanisme de cumul, mal calibré, (qui) peut créer de mauvaises incitations" : pour un même salaire mensuel, un salarié bénéficie d'une allocation deux fois supérieure s'il travaille à temps plein pendant 15 jours plutôt que s'il est à mi-temps pendant tout le mois. En clair, non seulement un travailleur précaire a peu de chance de trouver un emploi à temps plein, mais il a en plus peu d’intérêt à l’occuper.
Du côté des employeurs, l’intérêt de recourir à des emplois précaires et de plus en plus courts est évident : il permet de limiter le nombre de CDI et réaliser de substantielles économies tout en ayant sous la main des travailleurs prêts à revenir ponctuellement, puisque l’Assurance chômage les finance le reste du temps. "Nombre d’entreprises ont adapté leur gestion de la main d’œuvre pour exploiter au mieux les avantages offerts par l’assurance chômage" : les entreprises cumulent les avantages mais transfèrent les inconvénients à l’Assurance chômage, et donc aux autres entreprises et travailleurs. Depuis 2013, une loi a bien tenté de limiter cette dérive en faisant payer plus de charges aux entreprises qui multiplient les contrats courts. "Le dispositif actuel est cependant loin d’être cohérent", souligne le document : les exonérations sont trop nombreuses et concernent les secteurs où il y a le plus d’abus, sans parler des entreprises qui profitent des failles de la législation.
Changer les règles du jeu pour sortir du cercle vicieux. Pour le Conseil d’analyse économique, il faut donc rapidement modifier les règles du jeu. D’abord au nom de l’équité, afin que les entreprises qui profitent de cette précarité cessent d’en transférer le coût sur la collectivité. Ensuite pour réduire le déficit de l’Assurance chômage, qui ne cesse de se creuser depuis la fin des années 1990 : sa dette devrait avoisiner les 26 milliards d’euros à la fin 2015. Le Conseil d’analyse économique propose donc plusieurs pistes :
- instituer un système de Bonus-Malus. L’idée est simple : renforcer la réforme de 2013 afin que les entreprises qui ont le plus recours aux contrats courts en paient réellement le prix. Ces dernières devraient alors verser davantage de cotisations sociales qu’une entreprise qui embauche en CDI.
- changer les règles en matière d’allocations chômage. Pouvoir cumuler un petit salaire et les allocations chômage permet de faciliter le retour à l’emploi. Sauf que les règles actuelles génèrent des effets pervers et permettent de cumuler les deux indéfiniment. Le CAE préconise de rendre les allocations "moins généreuses pour les contrats courts", en changeant de mode de calcul : celui-ci ne se baserait plus sur le "salaire journalier moyen" des périodes travaillées, mais sur le "revenu moyen mensuel", ce qui reviendrait à prendre en compte les périodes chômées. En complément, il recommande de "rendre le cumul allocation chômage et salaire plus rémunérateur".
- Normaliser certaines professions. Cet effet pervers identifié chez une partie des contrats courts est même devenu la norme dans certaines professions. C’est donc tout naturellement que le rapport recommande de réformer les "règles d’indemnisation spécifiques à certaines professions si elles ne sont pas compensées par des contributions couvrant leur surcoût par rapport aux règles de droit commun". Le régime des intermittents est bien évidemment concerné, mais aussi les professions qui peuvent recourir aux CDU, un contrat d’usage qui cumule les avantages d’un CDD et d’un CDI mais sans les inconvénients. Or la liste est longue puisque les CDU sont très répandus dans les médias, le spectacle, l’hôtellerie et la restauration, la réparation navale, l’enseignement, les centres de loisirs. Ou encore l’exploitation forestière.