Les Français aiment travailler. C’est ce qui ressort de la grande enquête menée par la CFDT auprès de 200.000 personnes et publiée la semaine dernière. Il apparaît que 76% des personnes interrogées aiment leur travail et que 58% disent y prendre souvent du plaisir. Mais tout n’est pas rose. D’après la même enquête, 51% des Français affirment que leur charge de travail est excessive, 35% considèrent que leur activité professionnelle nuit à leur santé et 34% ont l’impression de n’être que des machines.
Comment dès lors concilier productivité et bien-être au travail ? C’est à cette question que les candidats à l’élection présidentielle essayent de répondre afin de séduire les Français. Sur ce point, chacun a sa propre vision du travail de demain, entre protection accrue des salariés, temps de travail allongé et nouveaux statuts des travailleurs. Europe 1 fait un saut dans l’entreprise du futur, telle que les cinq candidats l’imaginent.
François Fillon : plus de souplesse dans les entreprises
Pour le candidat Les Républicains, le travail est la valeur essentielle de notre société, celle qui doit définir chaque Français. Il faut donc encourager les gens à travailler, à entreprendre. Une vision qui s’enracine dès l’école avec la création du statut d’"étudiant-entrepreneur". Pour favoriser entrepreneuriat, François Fillon entend "créer un statut de prestataire indépendant pour les auto-entrepreneurs qui le souhaiteront". Ce statut, valable trois ans, doit les protéger des requalifications.
Des contrats de travail plus souples. Les entreprises seront incitées à engager des apprentis. Pour encourager les petites entreprises à embaucher, François Fillon veut créer de nouvelles formes de contrats de travail : "contrat de mission pour une durée limitée, contrat à causes de rupture prédéfinies". L’objectif est de remettre la France au travail, sous toutes ses formes. Travail qui durera par ailleurs plus longtemps avec le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans.
Fin des 35 heures. Enfin, le Code du travail ne régira plus que les "normes sociales fondamentales", le reste devra être fixé par des accords collectifs de branche ou, dans l’idéal, d’entreprise. Ainsi, François Fillon veut abroger les 35 heures "et laisser chaque entreprise décider de son temps de travail par la négociation et la signature d’accords collectifs". Quelle que soit la durée choisit, elle ne pourra pas se traduire par une réduction salariale. Par défaut, la durée légale de travail sera fixée à 39 heures.
Benoît Hamon : mieux partager le travail
C’est son crédo depuis le début de la campagne : proposer aux Français un "avenir désirable". Avenir qui passe par un nouveau modèle de société, plus exclusivement centré sur le travail. La réflexion de Benoît Hamon est iconoclaste dans cette élection présidentielle. Le candidat socialiste est convaincu que le travail va se raréfier dans les années à venir, sous l’effet de l’automatisation et de la numérisation progressive de tâches de plus en plus compliquées. Il n’y aura donc plus assez de travail pour tout le monde, en tout cas au sens où on l’entend aujourd’hui.
"Penser le partage du travail". C’est cette évolution majeure qui guide la vision économique de Benoît Hamon. "Je veux réfléchir en fonction de ce qu'il se passe et non de ce qui fut", disait-il lors de son discours à Bercy. "Arrêtons de penser que tout le monde est content de son travail. Notre responsabilité est de penser le partage du travail." S’il est élu, Benoît Hamon promulguera une loi pour "encourager la poursuite de la réduction collective du temps de travail sur la base du volontariat et par la négociation, renforcer le compte pénibilité et le compte personnel d’activité, conforter le droit à la déconnexion".
Protéger les travailleurs. L’autre volet de son programme pour le travail est axé sur la protection des travailleurs. Il y a bien sûr le revenu universel d’existence qui doit permettre de faire face sans délai aux aléas de la vie. A côté, Benoît Hamon veut mettre en place le droit à un an de congé-formation par actif pour pouvoir changer de voie ou acquérir un diplôme. Le burn-out sera également reconnu en tant que maladie professionnelle.
Donner du pouvoir aux salariés. Enfin, Benoît Hamon veut remettre le salarié au centre de la stratégie d’entreprise en modifiant la composition des conseils d’administration et de surveillance : un tiers de représentants des actionnaires, un tiers de représentants des salariés et un tiers pour les représentants des "parties extérieures affectées" (clients, fournisseurs, collectivités, etc). Dans les entreprises de plus de 2.000 salariés, les représentants du personnel auront un droit de veto sur "les grands projets stratégiques".
Marine Le Pen : redonner du travail aux Français
Marine Le Pen croit autant à l’avenir de l’industrie qu’aux évolutions inévitables du monde du travail. D’un côté, elle veut mettre en place "un plan de ré-industrialisation" de la France visant à favoriser "l’économie réelle". De l’autre, elle compte "créer un secrétariat d’État dédié aux mutations économiques afin d’anticiper les évolutions des formes de travail liées aux nouvelles technologies (ubérisation, robotisation, économie du partage…)". De nouvelles formes de travail qu’elle entend bien réguler.
Négociations sur le temps de travail. La candidate du Front national souhaite conserver les 35 heures hebdomadaires. Mais elle autorisera la négociation sur l’allongement du temps de travail "exclusivement au niveau des branches professionnelles et à la condition d’une compensation salariale intégrale (37 heures payées 37 ou 39 heures payées 39)". Les heures supplémentaires seront défiscalisées et majorées. Enfin, si Marine Le Pen est élue présidente de la République, l’âge de la retraite redescendra à 60 ans, contre 62 ans aujourd’hui, avec 40 ans de cotisations pour percevoir une retraite pleine.
Moins de salariés étrangers.Le patriotisme économique que promeut Marine Le Pen aura également des conséquences sur le travail puisque la candidate FN entend "mettre en place une taxe additionnelle sur l’embauche de salariés étrangers afin d’assurer effectivement la priorité nationale à l’emploi des Français". Certaines multinationales pourraient en pâtir et l’ambiance dans ces entreprises risque de changer.
Emmanuel Macron : libérer l'entrepreneuriat
Dès son discours à la porte de Versailles à Paris, Emmanuel Macron s’est posé en "candidat du travail". "Le travail, ce n’est pas une souffrance. Il faut protéger au travail, mais je ne recommande pas de vouloir protéger les Françaises et les Français du travail, ce n’est pas une bonne idée. Le travail, c’est ce qui nous donne une place dans la société, c’est ce qui nous donne notre dignité, c’est ce qui nous permet de nous émanciper", scandait-il en décembre.
Libérer le travail. Emmanuel Macron s’inspire de la "flexisécurité" scandinave. Contrairement à Benoît Hamon, le candidat d’En Marche ! pense que "le travail se transforme, qu’on ne travaillera plus demain comme aujourd’hui, ni comme hier, et qu’il faut pour cela encourager toutes les formes d’emploi à prospérer, en donnant aux individus les protections dont ils ont besoin". Emmanuel Macron défend un travail libéré des contraintes qui brident entrepreneuriat. Il défend régulièrement le modèle d’Uber, qui donne un emploi à des populations "victimes de l’exclusion". Plus généralement, il admet que le salariat ne sera plus le modèle social dominant à l’avenir.
Temps de travail modulé. Pas question pour autant de remettre en cause les 35 heures mais la durée légale du travail sera adaptée à chaque branche, secteur d’activité ou entreprise par le biais d’accords majoritaires. Emmanuel Macron envisage par exemple que les entreprises puissent alléger le temps de travail des plus de 50 ans et augmenter celui des jeunes, moins usés. Il souhaite également instaurer un "droit à la mobilité professionnelle" pour faciliter les changements de carrière et les rebonds après un licenciement. Droit qui s’accompagne d’un "devoir de travailler lorsque le travail est proposé".
Jean-Luc Mélenchon : favoriser les salariés
A l’exception d’une transition écologique rapide, Jean-Luc Mélenchon envisage assez peu, dans son programme, ce que sera le travail de demain. Il continue de voir le CDI comme la forme normale de contrat de travail et s’oppose au temps partiel. Peu de changements sont donc à prévoir dans sa vision de l’organisation de l’entreprise du futur.
Responsabiliser les patrons. Le candidat de la France Insoumise se présente plutôt comme le garant d’une éthique du travail. Sous son éventuel mandat, salariés et patrons devront prévoir du changement. Les premiers verront leurs prérogatives se réduire : interdiction de distribuer des dividendes d’un montant supérieur aux bénéfices, fin des parachutes dorés et des retraites chapeaux, fixation d’un salaire maximum autorisé pour limiter l'écart de 1 à 20 entre le salaire le plus bas et le salaire le plus haut dans une entreprise, instauration d’un droit à un vote de défiance à l'égard des dirigeants de l'entreprise ou des projets…
Plus de droits pour les salariés. Jean-Luc Mélenchon réclame une meilleure protection des salariés. Parmi ses mesures figure l’établissement d’un "maximum de 10% de contrats précaires dans les PME et 5% dans les grandes sociétés". Les licenciements boursiers seront interdits, le burn-out sera reconnu comme maladie professionnelle et les employés auront le droit à une sixième semaine de congés payés. Les 35 heures seront conservées et leur application renforcée pour éviter les abus. L’âge de la retraite sera abaissé à 60 ans avec 40 années de cotisations.
Et les autres ?
Nicolas Dupont-Aignan valorise le travail et notamment le CDI. Il veut renforcer le télétravail, remettre au goût du jour la "participation gaullienne" des salariés dans l'entreprise et surtout verser les salaires tous les 15 jours et non plus tous les mois. Il souhaite également "faire effectuer par toute personne au RSA en état de travailler une journée hebdomadaire de mission d’intérêt général".
Nathalie Arthaud milite pour un droit au travail pour tous et souhaite "interdire les licenciements et les plans de suppression d’emplois, à commencer par les entreprises qui font des profits". La candidate de Lutte Ouvrière envisage aussi de nationaliser les usines, les banques, les transports et les chaînes de distribution. Enfin, elle demande la retraite à 60 ans. Un départ plus tôt également réclamé par Philippe Poutou, qui parle même de 55 ans pour les métiers pénibles. Tous deux entendent en finir avec le système capitaliste.
Jean Lassalle évoque assez peu le thème du travail mais il met en avant l'agriculture, dont il veut faire une cause nationale. Il prône également des nationalisations partielles de grands acteurs économiques, mais son programme reste flou. François Asselineau entend également nationaliser de nombreuses entreprises: EDF, TF1, les sociétés d'eau et d'autoroute... Il veut abroger la loi El Khomri et lutter contre l'ubérisation du travail. Fini aussi le travail le dimanche, sauf dans le service public et pour certains petits commerces.
Finalement, Jacques Cheminade promet une grande conférence sur l'emploi afin de trouver les secteurs susceptibles d'embaucher des jeunes et des chômeurs. Les entreprises qui emploient des apprentis recevront une aide visant à financer des CDI.