Comment mieux encadrer le télétravail ?

Près d'un Français sur cinq expérimenterait le télétravail. © MARCEL MOCHET / AFP
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Les partenaires sociaux ont remis un rapport à la ministre du Travail proposant de clarifier le flou juridique qui entoure le télétravail.

Pas le temps de souffler. Après avoir détaillé les contours de la réforme du Code du travail mardi, Muriel Pénicaud va se pencher sur la question du télétravail. A l’issue d’un dernier tour de négociation, les partenaires sociaux se sont mis d’accord mercredi sur un texte visant à mieux encadrer cette pratique. Le rapport a été remis à la ministre en fin de journée et pourrait servir à nourrir les ordonnances de la réforme du droit du travail.

Une pratique prisée. La concertation sur le télétravail, prévue par la loi El Khomri et initialement prévue à l’automne 2016, a finalement commencé en février. Les trois mois de négociation avaient pour but de "sécuriser juridiquement une pratique qui s’est beaucoup développée ces dernières années", indique-t-on au Medef. "Les grands groupes du CAC 40 ont massivement mis en place le télétravail. On parle là de dizaines de milliers de télétravailleurs dans ces entreprises", abonde Clément Roucher, manager dans le cabinet spécialisé Greenworking. Et la demande est forte : selon un sondage Ipsos paru en novembre 2016, 65% des employés de bureau seraient intéressés par le télétravail.

" L’enjeu, c’est de réduire la proportion de télétravail ‘gris’ "

Flou juridique. Problème, l’absence de cadre strict entraînerait, selon le rapport des partenaires sociaux, un taux de télétravail informel "de 16 à 20%" parmi les salariés français. Bien plus que les études officielles qui font état, en fonction des sources, d’un taux de 2% à 6% pour le télétravail encadré par un avenant au contrat de travail. "L’enjeu principal de ces négociations, c’est de réduire la proportion de télétravail ‘gris’. Cette pratique présente des risques. Par exemple, si un télétravailleur a un accident à son domicile, personne ne le prend en charge", explique Philippe Planterose, président de l’Association française du télétravail et des téléactivités (AFTT).

D’où l’urgence à mettre en place un encadrement renforcé du télétravail, les règles actuelles ayant été édictées en 2005 et à peine mises à jour en 2012. La loi ne définit qu’une poignée d’obligations de l’employeur vis-à-vis du télétravailleur : prise en charge des coûts de matériel et de communication, priorisation du salarié en question en cas d’offre de poste sans télétravail, organisation d’un entretien annuel sur ses conditions de travail, négociation des plages horaires durant lesquelles le salarié est joignable par son employeur.

Un cadre pour négocier au cas par cas. Le rapport pose un constat clair : "Il apparaît difficile, en pratique, d'appliquer au domicile la partie réglementaire du Code de travail relative aux dispositions applicables pour le lieu de travail afin de garantir la santé et la sécurité du travailleur". Autrement dit, le télétravail ne peut être conçu comme une simple transposition d’un poste de bureau classique au domicile du salarié. "C’est un mode de travail très particulier. Ce dont on a besoin aujourd’hui, c’est de fixer un cadre général pour faciliter ensuite les négociations au cas par cas", souligne Philippe Planterose.

Protéger les droits du salarié. Pour accompagner le développement du télétravail, les partenaires sociaux suggèrent donc de "clarifier des points juridiques" d'une part, et d'"ouvrir une réflexion" sur des sujets "importants" comme "la charge de travail", qui reste "difficile à mesurer", "la protection des données personnelles" ou "la déconnexion". En matière de "clarification", ils recommandent notamment de formaliser le télétravail occasionnel par un accord d'entreprise ou un avenant au contrat de travail pour lever "tout risque d'ambiguïté" en cas d'accident de travail. Sur la question de la prise en charge des coûts par l'employeur, ils estiment que l'évaluation "au réel", retenue par l'Urssaf, "n'est plus en cohérence avec la réalité de la vie des entreprises" et suggèrent une "base forfaitaire" pour "sécuriser les entreprises et simplifier la gestion".

" Avec le télétravail, la productivité du salarié peut augmenter de 22% "

Trop de contraintes pour les DRH. Des recommandations qui ne sont pas forcément du goût des dirigeants d’entreprise. Une étude de l’Association nationale des DRH menée auprès de ses membres et publiée en mai indique que 63 % des professionnels considèrent que le cadre légal du télétravail doit évoluer "vers plus de flexibilité, de clarification et de simplification", le dispositif actuel étant jugé "trop contraignant". Les responsables en ressources humaines pointent des obligations "trop lourdes en matière de prise en charge d’aménagement du domicile du salarié et de son indemnisation".

Pour Philippe Planterose, le changement de cadre juridique n’aura de toutes façons qu’un impact limité sur le développement du télétravail. "Les vrais freins sont ailleurs. Si les patrons hésitent encore, c’est d’abord parce que pour savoir si le télétravail peut être bénéfique à l’entreprise, il faut expérimenter pendant six mois à un an. Une durée qui peut rebuter", précise le président de l’AFTT. Une problématique que l’Association nationale des DRH propose de résoudre en favorisant le développement du télétravail occasionnel, notamment via des jours flottants, non déterminés à l’avance.

Le télétravail intégré aux ordonnances ? Entrepreneurs et salariés auraient tout intérêt à ce que le télétravail se banalise. "Les études que nous avons menées auprès de nos clients prouvent que dans le cas d’un travail à domicile 2 à 3 jours par semaine, la productivité du salarié peut augmenter de 22%", assure Clément Roucher, du cabinet de conseil Greenworking. "De plus, le taux de satisfaction des télétravailleurs est très élevé, notamment car les horaires plus souples améliorent leur rythme de vie." Muriel Pénicaud, elle-même ancienne DRH, semble en tout cas prendre le sujet à cœur. En effet, Hervé Garnier, le négociateur de la CFDT, a laissé entendre que la ministre du Travail pourrait "intégrer certaines recommandations dans les ordonnances" annoncées pour réformer le droit du travail.