Nouveau tour de vis dans la communication du gouvernement. Après avoir refusé, depuis sa prise de fonctions au ministère de Travail, de commenter les chiffres du chômage de Pôle emploi - publiés mardi soir, Muriel Pénicaud a lancé début septembre le deuxième étage de la fusée en créant son propre baromètre de l’emploi. Il s’agit d’un "cahier de graphiques", mis en forme par les équipes du ministère, présenté par Muriel Pénicaud et commenté par des économistes sélectionnés. Pour la ministre, qui espère convaincre les commentateurs de privilégier ce nouvel outil, c’est une façon de maîtriser la communication sur le chômage.
Pas le temps de batailler sur les chiffres. Exit les données mensuelles, à présent la ministre ne communiquera sur le chômage qu’une fois par trimestre, à l’occasion des "Rendez-vous de Grenelle", une conférence de présentation du baromètre qui aura lieu au ministère du Travail. "Le temps pour moi n’est pas à la bataille sur un chiffre mais à l’analyse de l’ensemble des données", s’est justifiée Muriel Pénicaud, lors de la première conférence qui s’est tenue début septembre. La ministre a longuement insisté, notamment auprès des journalistes, sur la pertinence de son baromètre.
Un cahier de graphiques trimestriel. Muriel Pénicaud a d’ailleurs laissé entendre que minimiser le poids des chiffres de Pôle emploi dans les médias serait une bonne chose pour tout le monde. "On doit au débat public une vision qui ne dépend pas d’un seul indicateur mais d’une batterie de données objectives permettant de mieux appréhender l’évolution de l’activité", a-t-elle expliqué. Muriel Pénicaud aurait pu se contenter du taux de chômage trimestriel de l’Insee, jugé fiable et qui permet la comparaison internationale. Mais elle a finalement opté pour un panorama élargi du marché du travail. Chaque trimestre, le ministère publie donc désormais un cahier d’une trentaine de graphiques, dont cinq sont choisis pour être mis en avant dans la communication en tant que "faits saillants".
La ministre choisit ses chiffres. En septembre, avaient été retenus : l’emploi salarié (général et par secteur), le taux de chômage, les salaires et les déclarations d’embauches par type de contrat. Cinq indicateurs positifs. Or, à l’intérieur du cahier de graphiques, on trouve aussi des chiffres moins bons, comme l’évolution à la baisse du salaire de base réel ou la hausse continue du taux d’embauche en CDD ou en intérim. En jonglant ainsi avec les indicateurs, les équipes de Muriel Pénicaud mettent en avant une vision du marché de l’emploi au détriment d’une autre.
Débat sur les chiffres du chômage. Sur le fond, cette manœuvre de communication est justifiée. En effet, tous les économistes s’accordent à le dire : les chiffres de Pôle emploi ne sont pas vraiment fiables. Ils sont réalisés à partir d’un comptage administratif, et non statistique, des personnes inscrites sur les listes. Or, de nombreuses personnes inactives ne s’inscrivent pas à Pôle emploi, découragées par des offres d’emploi inadéquates ou par le manque de résultat en matière de lutte contre le chômage des gouvernements successifs. Inversement, parmi les inscrits à Pôle emploi, on trouve des gens qui occupent des emplois, même précaires ou à temps partiel.
De son côté, l’Insee a opté pour la méthode du sondage. Chaque trimestre l’Institut interroge 110.000 personnes, leur demandant notamment s’ils sont "à la recherche d’un emploi" et extrapole les réponses pour obtenir un taux de chômage. Résultat, la définition du chômeur selon l’Insee (également celle du Bureau international du travail) est plus restreinte que celle de Pôle emploi. Ce qui induit un décalage dans les chiffres : au premier trimestre 2017, Pôle emploi recensait 3,48 millions de demandeurs d’emploi, alors que l’Insee comptait 2,83 millions de chômeurs.
Héritage de François Hollande. Mais alors, si les chiffres de Pôle emploi sont si contestables, pourquoi continuent-ils d’être la référence pour le chômage ? En grande partie à cause de (ou grâce à)… François Hollande. Quand, à peine entré en fonction, le président de la République avait fait la promesse d’inverser la courbe du chômage, il avait mis sous les projecteurs la fameuse "catégorie A" de Pôle emploi. En échouant à tenir son pari, il a renforcé la popularité de ces chiffres, que les Français ont associés à l’échec de la politique de l’ex-chef de l’État.
Depuis cet épisode, les chiffres mensuels de Pôle emploi sont devenus un rendez-vous incontournable pour la classe politique autant que pour la sphère médiatique. Ainsi, à chaque publication, Michel Sapin et Myriam El Khomri ne se privaient pas de commenter les chiffres de Pôle emploi, plus encore quand ils étaient bons. Un trop plein de communication qui s’est retourné contre le gouvernement socialiste in fine. Lors de la passation de pouvoir au ministère du Travail en mai, Myriam El Khomri avait d’ailleurs recommandé à Muriel Pénicaud de ne pas s’attarder à commenter les chiffres de Pôle emploi.
Pôle emploi pas enterré. Un conseil appliqué à la lettre par Muriel Pénicaud. Elle n’empêchera pas les médias d’évoquer tous les mois les chiffres de Pôle emploi. Après tout, le nombre de demandeurs d’emploi est un chiffre qui parle aux Français. Mais la ministre a désormais la main sur la communication du chômage avec son cahier de graphiques où elle peut puiser des éléments. Parmi eux, se trouvent d’ailleurs… les chiffres de Pôle emploi, signe qu’ils ont quand même un intérêt. Et qui sait si, dans quelques mois, ils ne feront pas partie des "faits saillants"…