Obligés de se diversifier pour ne pas mourir, les buralistes accueillent de moins en moins de clients venus acheter des cigarettes. À l'inverse, l'ouverture d'un compte bancaire et le paiement des impôts occupent une partie grandissante de leur journée.
Leur carotte écarlate est parfois la seule enseigne lumineuse à percer la grisaille des bourgs désertés. Les 24.000 buralistes que compte la France représentent souvent un îlot de sociabilité dans des communes où les commerces ont fermé les uns après les autres. Les raisons de pousser la porte de ces établissements sont donc variées, et cela se ressent sur les chiffres de fréquentation. "42% des 10 millions de clients par jour ne viennent pas chez leurs buralistes pour acheter du tabac", assure Philippe Coy, président de la confédération des buralistes, invité de La France bouge.
"Rééquilibrer nos sources de revenus"
Pour les 58% de Français qui se rendent chez leur buraliste pour d'autres raisons que l'achat d'un paquet ou une cartouche de cigarettes, il y a bien sûr les livres, la presse, les jeux à gratter ou les cadeaux, indique le dirigeant à propos de ces "achats plaisirs". Ces derniers sont réalisés alors qu'un "lien presque affectif" existe entre le buraliste et son client.
" On ne juge personne et on accueille tout le monde "
"Par nature, on est buraliste pour vendre du tabac. Mais l'adaptation fait qu'on doit rééquilibrer nos sources de revenus et notre fréquentation", note Philippe Coy. Aussi, ces professionnels vendent désormais des cigarettes électroniques et leur liquide, "dans la continuité" de ces manières de consommer de la nicotine. Pour autant, le tabac représente encore 70% à 80% du chiffre d'affaires de ces établissements aux horaires d'ouverture élargis.
Ouvrir un compte, payer la cantine
Face à la hausse du prix des cigarettes et plus globalement le moindre attrait du tabac, le rééquilibrage des revenus passe aussi par le développement de Nickel (ex-compte Nickel), des comptes bancaires accessibles à tous. Ils sont aujourd'hui distribués par un quart des buralistes français. "Nickel, c'est 1,9 million de comptes ouverts depuis notre création, en 2014, avec 40.000 comptes ouverts tous les mois", se targue Marie Degrand-Guillaud, directrice déléguée de l'entreprise, elle aussi invitée de La France bouge.
"On ne juge personne et on accueille tout le monde", souligne Philippe Coy. "On renseigne le client et on est dans la procédure administrative d'ouverture du compte."
Autre innovation majeure pour 9.500 établissements et leurs fidèles clients : il est désormais possible, depuis juillet dernier, d'y payer ses impôts. "Payer sa cantine ou sa fiscalité locale, c'est quand même plus contemporain de pouvoir le faire un dimanche matin", avance le responsable, lui-même buraliste à Lescar, près de Pau. "On vient de faire 95.000 transactions sur le seul mois de janvier."
Vers des "drugstores du quotidien" ?
D'ailleurs, sachez qu'"on ne dit plus 'bureau de tabac', mais 'buraliste'" pour désigner ces commerces. "Je ne savais pas que l'histoire allait être aussi sombre en 2020 mais, en octobre 2019, nous avons pris la signature de 'commerçants d'utilité locale'", rappelle Philippe Coy, qui évoque aussi l'expression "drugstores du quotidien" pour le futur de ce métier.