Europe 1 a obtenu l'autorisation exceptionnelle de visiter la plus grande centrale nucléaire d'Europe, jusque dans ses lieux les plus sensibles.
Pour entrer dans la centrale nucléaire de Gravelines, dans le Nord, il faut d'abord déposer ses effets personnels dans un bac et passer sous un portique, comme à l'aéroport. A côté de nous, François Goulain, le directeur de l'impressionnant édifice, ne bénéficie d'aucun passe-droit et se plie aux règles. On lui demande s'il ne se lasse pas. "J'ai simplement pris des habitudes", sourit-il, soulevant son pull sur une ceinture en alu - et qu'il n'est donc pas nécessaire de retirer. Le directeur le sait, nous pas encore : nous ne sommes pas au bout de nos peines. Pour pénétrer au cœur de la plus grande centrale nucléaire d'Europe, on ne plaisante pas avec la sécurité.
A chaque palier de sûreté, un nombre de visiteurs restreint
Après avoir fourni leurs documents d'identité, les invités obtiennent un badge, à présenter à chaque portique. En voilà un second, doublé cette fois d'un code secret, déterminé à l'entrée. Une lumière verte s'allume : on peut y aller. "C'est la deuxième étape", explique François Goulain. "A chaque palier franchi, le nombre de personnes autorisées est moins important." Il faut alors marcher quelques centaines de mètres à l'extérieur, parmi des dizaines de tuyaux métalliques, avant un troisième contrôle et l'accès à l'intérieur de la centrale. Ici, on produit de l'électricité pour 4 millions de personnes, ainsi que pour une partie importante des industriels des Hauts-de-France, 24 heures sur 24.
La visite commence à 15 mètres de hauteur, par la salle de commandes de la centrale. Une sorte de tour de contrôle, où on décide du volume d'électricité à produire pour répondre à la demande. "Depuis la création de la centrale en 1980, elle n'a jamais été vide", souligne Marianne Volpe, cheffe d'exploitation des réacteurs un et deux - la centrale en compte six. A l'intérieur, un compteur aux chiffres un peu "old-school" mesure la production en temps réel, en mégawatts/heure. "On est à 920, ça veut dire que le réacteur un tourne à plein régime", commente la responsable. Depuis Gravelines, de l'électricité est aussi exportée en Angleterre, via des câbles sous-marins.
Chaussettes, combi, gants et charlotte
En quittant la quiétude de la salle des machines, on pousse une lourde porte couleur rouille : c'est la porte anti-souffle, capable de résister à une explosion. Derrière, la réaction nucléaire se fait dans le bâtiment le moins accessible de la centrale… Au point que quand les réacteurs fonctionnent, pas un humain ne s'en approche. "Tout est fait à distance", explique François Goulain. A titre exceptionnel, nous pourrons en approcher un, en maintenance. Non sans se plier à des règles très strictes.
Chaussettes, chaussures, t-shirt, combi, gants et charlotte : dans la zone protégée, tout le monde se ressemble. La tenue de protection, qui n'est pas sans évoquer celle que l'imaginaire collectif attribuerait à un cosmonaute, vise à éviter tout risque de contamination. Avant de l'enfiler, il faut laisser toutes ses affaires dans un casier et s'équipier d'un dosimètre, un petit boîtier qui mesure la radioactivité en temps réel. Un petit quart d'heure routinier pour les employés de Gravelines, dont le temps de travail prévoit ces plages "habillage".
Un réacteur aux allures de sous-marin
La tenue "blanche" ouvre la voie à une salle évoquant la machinerie d'un sous-marin, où retentissent d'ailleurs des appels sono - les téléphones portables sont évidement interdits. Quelques dizaines de marches supplémentaires dans les jambes, nous sommes sur le toit du pressuriseur, une pièce en acier d'une centaine de tonnes où se même l'eau liquide et la vapeur, "sur le principe d'une cocotte minute", illustre François Goulain. Sous nos yeux, la fameuse "piscine" du réacteur.
"On a l'uranium, qui est dans la cuve. La réaction nucléaire produit de la chaleur, transférée par un échangeur, qui la transforme en vapeur. Cette vapeur sort du bâtiment réacteur et va en salle des machines. La turbine fait tourner un alternateur, qui l'envoie sur le réseau EDF", simplifie le directeur de la centrale. Dans cette partie du bâtiment, tous les incidents, aussi minimes soient-ils, sont signalés et mesurés sur une échelle de 0 à 7, créée après Tchernobyl.
Un scanner passé en sous-vêtements
Un "incident" dans une centrale nucléaire, ça arrive ? "En moyenne, un travailleur du nucléaire est à quelques mili-Sievert d'exposition, soit dix fois en-dessous du seuil réglementaire", tempère François Goulain sur la route de la sortie du réacteur. Celle-ci est semée de trois nouveaux contrôles. En combinaison, chaque visiteur est d'abord invité à "vérifier" son absence de radioactivité dans une machine aux allures de sèche-mains, puis à nouveau devant un détecteur. La dernière vérification est un scanner, en sous-vêtements, que les employés du site passent chaque jour.
A nouveau en civil, on prend l'ascenseur pour la salle des machines, qui ressemble, de fait, plutôt à un hangar - de la taille de quatre terrains de foot. Le casque tient chaud et les bouchons d'oreille sont de rigueur : une turbine, de 5 mètres de diamètre, convertit bruyamment l'énergie. "C'est comme un réacteur d'avion, entraîné par la vapeur", commente Didier Goulain. A la sortie, du 400.000 volts, la tension du réseau électrique français.
Notre sortie, à nous, se passe quelques derniers portiques plus loin. En jean et baskets, il faut encore passer par une vérification de la radioactivité, debout entre deux barrières. "C'est là qu'on sait s'il faut prendre une douche de décontamination", sourit un employé du site. La porte s'ouvre, on respire : ça ne sera pas pour cette fois.